A titre d’illustration, les tapis des régions de Djebel Amour, de Nador en allant vers Sougueur, Aflou, El Bayadh et Laghouat, se distinguent par des dessins exécutés avec le mariage des couleurs rouge, noire et blanche. Le tapis de Ksar Chellala répond aux styles de tissage bien particulier et comporte une multitude de couleurs et motifs
Le tapis artisanal « zarbia » Un art au féminin tenace
Des tapis colorés, longs, petits, unis, mais tous en forme rectangulaire… Ce sont les images traditionnelles que les participants à la Fête du tapis qui se déroule chaque année du 19 au 23 mars, découvrent dans la ville réputée pour la confection de ses œuvres plastiques, Ghardaïa.
Comment sont fabriqués ces tapis qui, à la fois, servent de décor, et protègent des journées rudes ? Art féminin par excellence, ces produits sont le résultats d’un savoir-faire très ancien. Tenez, le tapis de laine pure est un extraordinaire héritage que les artisans, qui véhiculent des références identitaires, ont légué. Le processus de fabrication est transmis, bien entendu, de génération à génération, comme c’est le cas pour le bijou kabyle ou l’art de la voirie. Fidèlement préservée dans les régions rurales, la fabrication du tapis artisanal, métier au féminin, revêt une dimension économique mais, également, culturelle. Cette fabrication colporte l’imaginaire social et la tradition orale du milieu dont sont issus les tisseuses et les tisserands. A travers les symboles et motifs fidèlement transmis avec raffinement et savoir-faire, un néophyte peut, aisément, déterminer avec exactitude l’origine du milieu de fabrication du tapis « zarbia ». Il arrive à ce que ces mêmes signes et symboles se retrouvent dans des tapis d’autres régions, ou même dans les tableaux de peinture ou les ustensiles fabriqués à base de terre cuite. Le tapis n’est pas seulement un objet décoratif, il est aussi un support pouvant contenir un langage vivant reflétant une culture millénaire riche et variée que seul le génie féminin a pu préserver et transmettre aux générations. Le tapis artisanal est considéré comme » un véritable média » véhiculant des repères qui ont un lien avec le substrat social, représentant la vie quotidienne des tisserandes exprimée à travers des symboles complexes, des figures géométriques et des dessins abstraits chargés de sens. Ces tapisseries traditionnelles fabriquées et confectionnées par le génie familial, expriment fidèlement par des caractères distincts représentant l’appartenance à chaque milieu social d’une région de l’Algérie profonde et l’enracinement aux us et à la culture ancestrale. Chaque région possède son propre répertoire de dessins, de symboles et de décorations représentés par des motifs géométriques tels les triangles et les losanges ainsi que des paillettes et franges typiques. Parmi les régions du pays qui excellent dans la symbolique artistique, véritable ancrage culturel et identitaire, figurent la région de la Kabylie, les Aurès, le M’Zab, Tlemcen, les Hauts-Plateaux et le Djebel Amour. Du tapis d’Ath Hichem à celui de Beni Izguen en passant par le tapis des Nememcha, de Ksar Chellala, d’Aflou et de Laghouat, l’expression artistique et symbolique propre à chaque région se manifeste à travers les dessins et motifs reproduits et exécutés magistralement par les doigts des tisserandes dotées d’une patience inégale. Ces tisserandes livrent, à travers leurs tapis soigneusement élaborés, des repères significatifs qui ont un lien direct avec le milieu sociologique immédiat et l’imaginaire social dont elles sont issues. Apprécié comme une valeur ornementale, le tapis constitue, également, une œuvre picturale dont l’authenticité s’identifie aux symétries des dessins qu’il comporte, et chaque région se reconnaît à travers les représentations et styles géométriques assortis de couleurs soigneusement choisies par les artisans. A titre d’illustration, les tapis des régions de Djebel Amour, de Nador en allant vers Sougueur, Aflou, El Bayadh et Laghouat, se distinguent par des dessins exécutés avec le mariage des couleurs rouge, noire et blanche. Le tapis de Ksar Chellala répond aux styles de tissage bien particulier et comporte une multitude de couleurs et motifs. Et le tapis de Ghardaïa se caractérise par un motif central d’apparence végétale et un motif représenté par une ligne de palmier avec deux couleurs (le blanc et le noir) étroitement lié au milieu naturel. Chacun des symboles et couleurs que renferme le tapis artisanal témoigne d’une pratique sociale, d’un mode de vie propre à une région et d’une entité culturelle inspirée de son vécu quotidien et de l’imaginaire sociologique. Même si la mondialisation a fait que le tapis soit » démocratisé » à coup de production exponentielle, il n’en demeure pas moins que le tapis tissé avec doigté dans un coin domestique soit une véritable œuvre d’art qui a encore de beaux jours devant elle.
Rachida Couri
7 août 2008
ARTISANAT