Les audiences que le président de la République avait accordées pendant le Ramadhan (octobre) 2006 à ses ministres avaient abouti à des constats sévères de la gestion de la vie publique et en même temps à des propositions de recadrage et de corrections de tir presque pour tous les secteurs.
Le département de l’Intérieur sortit avec la proposition d’un nouveau découpage administratif destiné à créer de nouvelles wilayas. Deux ans après ce qui semble être un ‘’ballon de sonde’’, le sujet revient encore ces deux dernières semaines dans la bouche même des autorités officielles, en l’occurrence Nordine Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur et des collectivités locales. On apprit en octobre 2006, selon les premières informations, qu’une mouture, qui était déjà fin prête, aurait défini 46 wilayas déléguées et qui seraient issues de 30 wilayas actuelles.
On ne sait pas avec exactitude les critères qui ont présidé à la nouvelle division territoriale du pays, mais si l’on se fie aux déclarations de l’époque de Yazid Zerhouni, le principal critère serait l’importance démographique des wilayas-mères. Ainsi, selon les nouveaux canons du ministère de l’Intérieur, une wilaya doit se situer dans la fourchette de 400 à 500 mille habitants.
Le premier constat qui se dégage de la nomenclature des nouvelles entités territoriales mises en circulation d’une façon officieuse est indubitablement une certaine justice rendue à d’anciennes villes ou agglomérations qui avaient déjà, lors du dernier découpage de 1984, toutes les qualifications pour devenir des chefs-lieux de wilaya, mais qui étaient “omises” au profit de villes limitrophes plongées jusque-là dans un bel anonymat. Les calculs politiciens, soutenus par le copinage et le clientélisme, ont souvent servi de base à ce découpage qui était entaché, dans sa grande majorité, de discordance géographique et de disharmonie humaine et économique.
A l’ouest du pays, l’exemple de Naâma est sur ce plan édifiant. Sur l’immensité de ces Hauts Plateaux de ce qui s’appelait le Sud-Ouest oranais, deux villes-parce qu’historiquement constituées et commercialement actives- pouvaient prétendre au statut de chef-lieu de wilaya : il s’agit de Aïn Sefra et Mechria.
Les voies de ministère de l’Intérieur étant impénétrables, ce fut Naâma, un carrefour pastoral, qui eut les faveurs des décideurs. La même aberration est vécue au centre du pays où la wilaya de Boumerdès a été promue exnihilo. Hormis l’ancien casernement de l’OAS implanté sur le promontoire et les instituts technologiques (INH, IAP, INELEC,…), rien ne disposait l’ex-Rocher Noir au statut de wilaya devant Bordj Menaïl et Thenia.
La première ville est citée dans la nouvelle liste pour être promue chef-lieu de wilaya-déléguée. Il en est de même de Aïn Defla qui on ne sait comment a ravi la vedette à Khemis Meliana.
Cependant, l’énigme dans cet exemple précis continue puisque ce n’est pas la ville d’El Khemis, ayant pourtant une position stratégique sur la RN 4, qui sera chef-lieu de wilaya mais Miliana, située sur les hauteurs au pied du Zaccar.
Il faut aussi savoir que depuis 26 ans les villes de Sour El Ghozlane (Bouira) et Bousaâda (M’sila) attendent la réalisation de leur “destin” ; les populations de ces circonscriptions n’ont jamais “digéré” leur rattachement, respectivement, à Bouira et M’sila.
Les mêmes cas se répètent à l’Est du pays avec Aïn Beidha, escamotée face à l’ex-Conrobert (Oum Labouaghi) et El Kala, rapetissée face à El Tarf.
Les calculs politiciens qui ont dû guider les ‘’choix’’ du découpage administratif pendant les années 80 n’ont pas seulement fait une grave entorse à la rationalité dictée par l’histoire des villes algériennes et par le socle humain constitué de relations de sang et de flux économiques et commerciaux, mais ils ont également fait l’impasse sur les zones écologiques et les espaces naturels homogènes du pays. Qu’une partie de la wilaya de Médéa soit si proche du littoral (à partir du mont Chréa) et que l’autre partie plonge dans les immensités steppiques de Boughezoul, voici bien une aberration qui rejette le critère de zone écologique et qui fait fi de la notion d’aménagement du territoire. Plus de deux décennies plus tard, l’extravagance sera probablement corrigée par la création de deux nouvelle entités qui prendront en charge la plaine du Sersou, comprise entre les monts de l’Ouarsenis et les monts du Titteri. Ce sont les wilayas déléguées de Ksar El Boukhari et Aïn Oussara, issues respectivement de Médéa et Djelfa.
Vers des schémas de communautés
La grande nouveauté dans le schéma territorial que se propose de mettre en place le gouvernement est l’éclatement que doivent subir les deux mégapoles d’Algérie : Oran et Constantine. Ainsi, selon les informations rapportées par la presse en octobre 2006, la capitale provinciale de l’Ouest donnera naissance à sept wilayas déléguées : Senia, Aïn Turc, Arzew, Boutelilis, G’deyel, Oued Tlilet et Bir El Djir.
Ce sera à peu près l’équivalent des communautés urbaines instituées dans certaines pays européens comme la France. Quant à Constantine, la nouvelle division administrative créera à l’intérieur de son territoire cinq wilayas déléguées : El Khroub, Zigout Youcef, Aïn Abid, Hamma Bouziane et Ben Ziad.
Si la wilaya de Sétif se trouve allégée de la “rampante” El Eulma (les 27 km séparant ces deux villes se réduisent comme peau de chagrin), la question demeurera pendante pour les habitants de Chelghoum El Aïd (ex-Chateaudun-du-Rhumel), dans la wilaya de Mila, qui ont depuis longtemps, souhaité s’affranchir de l’antique Milev.
Il était temps également que certaines villes ayant pris une certaine dimension spatiale, économique et humaine accèdent au rang de chefs-lieux de wilaya : c’est le cas de Mohamadia (ex-Perrégaux) dans les Monts des Beni Chougrane, Sougueur et Frenda (Hauts Plateaux de Tiaret), El Milia (sur Oued El Kébir) dans la wilaya de Jijel, Ténès (littoral de Chlef), Barika (Hauts Plateaux entre Batna et M’Sila), Draâ El Mizan (entre Bouira et Tizi Ouzou) et Akbou (dans la vallée de la moyenne Soummam).
La mouture du projet de la nouvelle division administrative telle qu’elle était rapportée à l’époque ne fait pas mention de la promotion de la ville d’Azazga au rang de wilaya, alors que l’élite de la région et les populations locales fondent de grands espoirs sur un tel projet depuis plusieurs années.
Aux frontières est et ouest du pays, les pouvoirs publics ont, depuis longtemps, songé à des circonscriptions administratives pouvant être dotées de certains pouvoirs spécifiques liées aux flux commerciaux, à la répression de la contrebande et du trafic des stupéfiants et à l’endiguement de l’immigration clandestine.
Ce sera chose faite avec la promotion de Bir El Ater (wilaya de Tébessa) et Maghnia (wilaya de Tlemcen) au rang de wilayas déléguées.
Le cas des territoires du Sud est connu par la complexité liée aux distances séparant les différents démembrements de l’ةtat des chefs-lieux de wilaya. Cette contrainte ne peut être levée que par la création de nouvelles circonscriptions administratives plus proches des citoyens et aussi par la décentralisation de la gestion administrative et économique de ces espaces.
Relation dialectique : territoire/décentralisation
A ce niveau d’information, deux questions majeures se posent : est-ce que tous les efforts sectoriels fournis par le gouvernement au cours de ces dernières années pour asseoir une gestion équilibrée de l’espace et une exploitation rationnelle des ressources ont été capitalisés et intégrés dans la vision ayant présidé au nouveau découpage territorial ? Ici, nous pensons notamment au Schéma National de l’Aménagement du Territoire (SNAT), outil de gestion et de prospective étalé sur 20 ans, mis en place en 2004, et à la loi portant protection des zones de montagne de 2003, renforcée, en septembre 2006, par l’installation d’un Conseil national de la Montagne. Ces deux outils scientifique et juridique ont été initiés et mis en place par le département de M. Cherif Rahmani, ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Environnement et du Tourisme. Ensuite, il importe de savoir de quelles prérogatives et marges de manœuvres pourront bénéficier ces nouvelles structures une fois affranchies définitivement de leurs wilayas-mères ? Ici, l’interrogation rejoint la grande problématique de la décentralisation/régionalisation mise sur la table à plusieurs reprise par des personnalités politiques de l’opposition.
En quoi, par exemple, le nouveau schéma territorial pourra-t-il prendre en considération les propositions de la Commission des réformes des structures de l’ةtat- présidée par Missoum S’bih- en matière de décentralisation ?
En évoquant la typologie des six wilayas historiques, feu Salah Boubnider suggéra d’aller vers plus de décentralisation pour asseoir une véritable démocratie. La régionalisation “positive” — antithèse du clanisme instauré par le pouvoir politique pendant quatre décennies — est l’autre revendication du FFS de Hocine Aït Ahmed. Une autre variante de la décentralisation- la régionalisation modulable- est un concept du RCD par lequel il compte “absorber” les effets néfastes du jacobinisme politique et culturel des tenants du pouvoir. Le parti de l’UDR, lui, a évoqué dès sa fondation l’idée de fédéralisme.
Le cas le plus extrême, est sans aucun doute, la solution autonomiste, du moins pour la Kabylie, défendue par le MAK de Ferhat Mehenni.
La conception centralisatrice de l’organisation des ةtats européens telle qu’elle était en vigueur au XIXe siècle s’est étendue aux pays du Sud par le biais de la colonisation. La nécessité de disposer de matières premières pour leur propre développement a poussé les ةtats européens à coloniser les pays du Sud en y installant une administration coloniale calquée sur leur propre modèle. Pis, pour le cas de l’Algérie qui a subi une colonisation de peuplement, il ne s’agissait même pas de calquer le modèle français mais de le prolonger et de donner de nouveaux territoires à son autorité. Après la défaite de l’ةmir Abdelkader le 14 août 1843, le territoire algérien sera organisé en trois départements français : Alger, Oran et Constantine.
Seuls les colons obtiennent une représentation au Parlement. Les lois du senatus-consult et la loi Warnier exproprient les Algériens de leurs terres et disloquent les tribus à partir de 1863.
L’autonomie financière accordée à l’Algérie en 1900 ne changea rien au caractère centralisé de la colonie qui restera sous l’emprise totale de la métropole. Le renforcement de la centralisation du pays au cours du XXe siècle était aussi dicté par la volonté de contenir et de réprimer le Mouvement national qui a commencé à se structurer à partir de 1926 (ENA).
Des chances compromises par la rente et l’absolutisme
Après l’Indépendance, le nouveau pouvoir algérien n’a fait que reproduire le schéma de la puissance coloniale avec des slogans symétriquement équivalents : un seul peuple, une seule langue, un seul territoire. Cette parodie de reproduction du canevas de la colonisation n’est pas propre à l’Algérie. Une source de la FAO observe : “Ainsi, lors de la décolonisation, ces pays ont hérité de systèmes administratifs centralisés qui étaient souvent des coquilles vides facilitant l’implantation de régimes autoritaires.
De plus, même dans la période postcoloniale, les aides au développement ont été le plus souvent conçues comme transfert des modèles existant dans les pays riches”.
La centralisation à outrance de l’ةtat algérien, outre qu’elle se trouve être un héritage colonial, trouve ses défenseurs zélés parmi les sphères décisionnelles entendu qu’elle est conçue comme un instrument de gestion de la rente et de la société.
L’enjeu de pouvoir que représente la centralisation est d’autant plus grand que le processus de la rente énergétique commençait à s’installer durablement dès le début des années 70.
Dans la foulée de ce qui était considéré comme une économie “socialiste”, l’ةtat était devenu un makhzen distributeur de rentes et de privilèges, créant ainsi une clientèle en ville et en province capable de ‘’pacifier’’ le Bled Essiba (pays de l’insoumission et de la rébellion selon le jargon khaldounien) et de la ramener dans son giron par des actes d’allégeance au profit du pouvoir central.
Ce consensus rentier, géré au jour le jour par une caste se réclamant du parti unique, a fini par vider les énergies créatrices du pays de leur substance en subventionnant la consommation via l’importation au détriment de l’investissement et de la production. Ces errements, qui vont à contresens de la logique économique vont connaître leurs limites dans l’impasse d’octobre 1988.
Les travers les plus visibles de la centralisation du pays se cristallisent dans la planification uniformisante et standardisés (plans quadriennaux et quinquennaux) ignorant les diversités naturelles, humaines et sociologique de l’Algérie.
Le concept d’“équilibre régional” qui était alors en vogue, non seulement n’avait pas de prolongement sur le terrain mais même du point de vue conceptuel se trouve dépassé par les notions d’aménagement scientifique du territoire basé sur des unités écologiques homogènes et des groupements de régions répondant à des critères géographiques et stratégiques précis.
De même, cet état de fait est soutenu par le processus de prise de décision qui répond à une logique pyramidale descendante, allant du ministère aux entités minimales de gestion, à savoir les communes.
Une hiérarchie infaillible est ainsi instaurée sans aucune intermédiation autonome à même de faire valoir les spécificités régionales en matière de développement ou d’administration.
La planification économique et la centralisation administrative étaient d’une telle raideur et d’une telle rigidité qu’elles ont tenté d’annihiler toute diversité naturelle ou humaine des territoires composant la République. L’établissement des sociétés nationales obéissait au même schéma uniforme qui faisait irradier leurs directions générales sur l’ensemble du territoire national.
Les schémas d’urbanisme et de construction étaient les mêmes à Bir El Djir (Oran), Bab Ezzouar (Alger) ou Hassi Messaoud. La frénésie de la construction dans cette dernière ville pétrolière n’a-t-elle pas fait d’elle une ville du Nord installée au Sud ? Des bâtiments de cinq étages-simples cubes de béton inesthétiques- avec des murs ayant la même épaisseur que ceux du Nord sous un soleil de 50° à l’ombre.
Au soir d’une coupure d’électricité pendant le mois de juillet, nous avions assisté à un spectacle affligeant où des cohortes de femmes descendent précipitamment les escaliers tenant des bassines d’eau dans les bras où étaient immergés les corps frêles de jeunes nourrissons menacés par la chaleur. Elles passèrent la nuit ainsi sur le trottoir. Dans le même temps, des villages-oasis de la même aire géographique, mais miraculeusement épargnés par la planification dévastatrice, possèdent encore des maisons qui n’ont pour climatisation que le seul génie ancestral de la construction propre aux habitants du Sud.
Presque aucun secteur de la vie nationale n’a échappé à l’absurdité d’une hypercentralisation.
Le plus grand mal qui en a résulté demeure sans doute cette mentalité administrative assiégée, qui sent la menace dès qu’il est question de lui grignoter ce qui pompeusement est appelé “prérogatives”, sorte de siège inamovible qui garantirait rente et confort permanents. Mais le résultat des courses est qu’un pays entier se trouve pris en otage en matière d’harmonie de gestion et d’exploitation rationnelle de ses ressources.
La nouvelle vision des pouvoirs publics allant dans le sens d’un plus grand nombre de wilayas et d’une plus grande décentralisation sont à encourager pour peu que des vents contraires — dictées par des intérêts personnels ou de castes — ne viennent pas remettre en cause ces projets ou leur donner un cours inattendu de façon à hypothéquer les autres réformes (économiques, administratives, judiciaires,…) censées s’y articuler ou en résulter.
Une chose est certaine : dans la configuration actuelle des structures de l’ةtat, ni l’économie du pays, ni la gestion des affaires administratives, ni la société ne trouvent réellement leur compte. Partout dans le monde, la gestion centralisée a montré ses limites, et la meilleure solution est d’anticiper les changements pour ne pas avoir à les subir de façon douloureuse, voire dramatique.
Le nouveau projet de découpage du territoire y contribuera-t-il d’une façon substantielle ? Attendons son passage en Conseil des ministres et sa présentation devant le Parlement pour y voir plus clair. Restera à savoir ce qu’il coûtera en termes de budget de l’ةtat étant donné que les nouvelles structures administratives feront appel nécessairement au recrutement/redéploiement de fonctionnaires et à de nouvelles infrastructures.
Amar Naït Messaoud
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12 août 2008
POLITIQUE