El Watan du 9 avril 2009
La diva et l’agneau
On sait que les saumons, après avoir cinglé, leur vie durant, à travers les grands océans, s’en reviennent à leur source d’eau douce, à contre-courant et à rebrousse-pente, pour y déposer leurs œufs et achever leur mission sur terre.
On sait aussi, parfait contre-exemple, que l’argent sale se rend dans les paradis fiscaux, désormais classés en noir et en gris, selon leur contribution à son blanchiment. Mais personne ne sait jamais trop bien où peut aboutir un écrit. Qui lit ces lignes en ce moment ? Comment ? Et en restera-t-il un jour quelque chose, quelque part, chez quelqu’un ? Il y a dans ce profond mystère autant de charme que de frustration, autant de beauté que d’angoisse. Viennent alors à l’esprit de celui qui écrit —romancier, essayiste ou journaliste — les expressions consacrées du défaitisme : « brasser du vent », « donner un coup d’épée dans l’eau », etc. Dès lors, on a beau se répéter l’autre expression consacrée qui veut que « les écrits restent », on se demande toujours dans quel état et avec quel effet ? Pourtant, parfois, quelques signes arrivent à franchir les limites brumeuses de ce monde parallèle pour gratifier le scribe d’une petite lueur. Ainsi, ce simple article écrit par mon confrère Fayçal Métaoui sur la présentation, début mars, à l’Espace Noûn, du livre consacré à la musique andalouse (La plume, la voix et le plectre. Saadane Benbabaali et Beihdja Rahal. Ed. Barzakh). Eh bien, nous savons aujourd’hui qu’il a été lu par au moins une personne : un certain Ali Benmesbah qui se trouve être inspecteur de l’éducation et authentique sougri, natif et habitant de Sougueur, grande commune de la wilaya de Tiaret.
L’article s’intitulait « Sortir l’andalou des grandes villes » et le message a aussitôt résonné dans la tête de notre cher lecteur qui se trouve être aussi membre de l’association El Amel à propos de laquelle il écrit : « Peu de gens savent qu’il existe une association de musique andalouse dans cette région à vocation agro-pastorale et pourtant, elle fêtera bientôt ses 32 ans d’existence… ». Il est vrai que Sougueur est réputée pour ses agneaux mais on oublie souvent que c’est elle qu’avait choisie le grand Ibn Khaldoun quand il décida de se retirer de la vie publique en 1374. Il y écrivit ses fameux Prolégomènes (El Muqadimma) et entama sa monumentale Histoire universelle. Sans ses écrits, Ibn Khaldoun n’aurait jamais connu la renommée et son nom aurait sans doute rejoint l’incommensurable abime d’anonymat des grands fonctionnaires de royaumes, ce qu’il était d’ordinaire. Notre cher sougri donc a eu l’idée un peu folle d’écrire à Beihdja Rahal et de lui proposer d’animer des master-class à Sougueur et d’y donner un concert avec les membres de la formation locale. Et la cantatrice, émue par l’invitation, a tout de suite accepté. Rendez-vous donc le 21 avril prochain pour un printemps andalou à Sougueur. La moralité de cette chronique c’est qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’agneau avant de l’avoir retournée et qu’en fin de compte, si l’on ne sait toujours pas où vont les écrits, il est en revanche une chose certaine et établie : ils vont !
Par
11 avril 2009
Culture