À l’orée de l’Aïd-El-Adha, le sujet qui focalise les préoccupations à travers nos contrées est, tradition oblige, le mouton du sacrifice, appelé usuellement « laâyada ». Il s’agit d’une autre hémorragie qui intervient après celles du Ramadhan, voire aussi de l’Aïd-El-Fitr, et de la rentée scolaire. Dans ce contexte, on estime, à juste titre, que la célébration de ce rituel aura pour corollaire l’intronisation de toute une pléiade de perturbations sur la « trésorerie » des bourses moyennes. S’agissant des prix actuellement appliqués, ils sont invariables d’une région à une autre et d’un marché à un autre.
Tiaret, une région agropastorale qui recèle pourtant un cheptel ovin dépassant un million de têtes, les prix pratiqués affichent, en raison de la forte demande en cette période bien précise, des proportions vertigineuses quand on sait que la bête moyenne, pesant entre 20 et 25 kg, est cédée à pas moins de 16 000 DA. Lors de notre pérégrination à travers certains marchés, nous avons remarqué que les concupiscences font bon train, mais non sans chercher minutieusement des partenaires chez lesquels on peut souhaiter une « affaire » raisonnable. Au marché à bestiaux de Sougueur, jadis appelé marché maghrébin, Si Abdellah, un éleveur de renom, propose des prix captivants allant de 10 000 à 16 000 DA pour un agneau et jusqu’à 21 000 DA pour un antenais. Ce dernier explique cette clémence par la flambée des prix de l’alimentation de bétail qui engendrent bien des appréhensions et ce, en dépit des conditions climatiques jusque- là favorables aux pâturages. « Avec les prix alignés à 3 000 DA le quintal d’orge et 2 000 DA celui du son gros, je ne peux prendre le risque de garder mon troupeau même si, sans pouvoir deviner ce que nous réservent les jours qui viennent, la nature nous a gâtés avec les dernières pluies. Tous ces paramètres me poussent à liquider mon produit sans pour autant en profiter de la situation», nous affirmera-t-il, en enchaînant que «les béliers, dont il disposait, sont vendus aux prix allant de 30 000 à 44 000 DA pour des maquignons du Centre du pays où de tels ovins sont plus convoités ». Néanmoins, même si la pluviométrie a flagorné les éleveurs, voire gâté les pâturages, source principale de l’alimentation pour le bétail, il n’en demeure pas moins que la plupart des éleveurs maintiennent l’idée de garder leur cheptel afin de l’engraisser davantage et préfèrent laisser paître leurs troupeaux plutôt que de les céder à ces tarifs considérés insignifiants, du moins en ces moments. Dans ce sillage, bien des éleveurs capricieux n’entendent pas la version de Si Abdellah de la bonne oreille et estiment que ces premières pluies leur permettent d’espérer mieux. «Même si les prix moyens oscillent autour de 20 000 DA en ce moment, je suis persuadé qu’ils accuseront une augmentation juste avant l’Aïd», nous dira cet éleveur accosté au niveau du marché à bestiaux de Ain-Dheb. Même son de cloche chez certains maquignons de Rahouia, notamment cet éleveur qui estime évidents les prix actuellement appliqués. Ce dernier nous affirme, dans la foulée, qu’il dispose d’un bétail de première qualité acquis dans les régions de Djelfa, Laghouat et Biskra, mondialement connues pour leur élevage ovin, notamment les béliers de races Ouled Djellal (le géant), Hamra (le petit),Taadmit (le plus beau) et Rembi (le poids lourd). Autrement dit, il se dit conforté par la bonne qualité de son bétail et ne se gêne aucunement de fixer les tarifs sans controverses. Il se charge ensuite de l’acheminement des moutons vers l’abattoir où ils seront… sacrifiés aux tarifs pour le moins exorbitants, à savoir que le kilogramme de viande ovine est actuellement affiché entre 650 et 700 DA. Les prix du mouton ainsi affichés restent, pour ce denier, rationnels encore que cette « brûlée » soit propulsée par le climat prédisposé à la pluviométrie qui éveille chez lui l’optimisme. Toutefois, il va sans dire qu’à Tiaret, le boursicotage menace le marché ovin et empêche beaucoup de smicards de célébrer l’Aïd El- Adha, comme le dicte la coutume. «Pourtant, cette fête sera, encore une fois, célébrée dans une conjoncture favorable quand on sait que le marché des ovins est marqué par une disponibilité importante », laissera dire un cadre de la direction des services agricoles de la wilaya pour qui ce produit est largement suffisant pour satisfaire la demande et répondre aux besoins de la population à l’occasion de cette fête. Cependant, à défaut de réglementation gouvernant cette profession, la spéculation s’érige en règle, alors que les autorités compétentes ne s’en préoccupent guère de la multiplication des marchés à bestiaux illégaux et occasionnels. Bien des maquignons, associés à des personnes « converties », hantés par l’idée d’engranger des gains substantiels, ont déjà acheminé des milliers de têtes de Laghouat, Djelfa et Biskra pour « étouffer », outre les bergeries, les hangars et les garages. À titre illustratif, un maquignon qui a usé de toute sa sincérité nous affirme qu’un bélier acheté à Tiaret pour 30 000 DA est cédé à 42 000 DA à El-Harrach où les clients les plus solides commercent la bête de l’Aïd à des prix allant jusqu’à 50 000 DA et même plus. Pour revenir à cette région des Hauts-Plateaux, autant dire que le prix de l’agneau vivant a pris son envol depuis quelque temps pour atteindre des cimes inabordables pour des ménages au faible revenu. Les causes perpétuellement alléguées sont l’indisponibilité de l’aliment de bétail et ses prix outranciers, nous rappelle-t-on au niveau des marchés visités. Nonobstant, ce point de vue n’est pas forcément partagé par tous les citoyens, à l’instar de cet homme d’un certain âge qui maintient que la flambée des prix du mouton trouve pour cause la spéculation et le boursicotage. « Les gens doivent savoir que les maquignons et les éleveurs occasionnels, qui ne se manifestent qu’en de pareilles occasions, usant de leurs liquidités et obsédés par ce désir inavoué de se faire des fortunes, ne sont que des trabendistes de la nouvelle génération. Pour eux, l’astuce est simple : il suffit d’avoir du pognon et se constituer en bailleur de fonds vis-à-vis d’un fellah moyen, acheter un troupeau et l’engraisser à base d’aliments composés pour se retrouver « baron » le jour de l’Aïd », tenait-il à commenter. Dès lors, les appréciations sont très partagées sur ce sujet, par de nombreux citoyens qui trouvent bien du mal à s’approvisionner. Pour El-Houari, un fonctionnaire moyen, l’Aïd El-Adha est une fête religieuse qui, par le sacrifice de ce mouton, permet aux musulmans de se rapprocher de Dieu. « Mais, avec ces prix qui nous sont proposés, rares sont ceux qui peuvent se le permettre », affirmera-t-il. M. Zouaoui
Mercredi 10 novembre 2010 – www.lecourrier-dalgerie.com – N°2036 – 7e année
4 décembre 2010
M. Zouaoui