Grand ou petit, le tapis est rarement uni, toujours coloré de triangles, de cercle, d’un serpent ou d’un œil…..Au fond de la laine, tant d’histoire racontée par les femmes patientes, derrière leur métier à tisser. Un monde d’expression et de symbole sur une matière
(la laine en générale) difficile à manier à cause des allergies, des rudes cérémonies qui précédent l’acte d’imprimer sur un support planté dans le coin d’une chaumière, des signes qui reculent le trépas. Du 19 au 24 mars prochain sera célébrée dans sa contrée natale de Ghardaïa, la 44ème édition de la Fête du tapis. Fête locale à l’origine, ce rendez-vous qui s’est au fil des années déployé recevra plusieurs participants venus d’une trentaine de wilayas, réputées pour cet artisanat. Ça coïncide avec les vacances scolaires, et les organisateurs sont bien conscients qu’il faut rajouter au tissage quelques ingrédients qui réchaufferont la fête. Embellissement de la ville, du site d’exposition, prévu au Palais des expositions au quartier de Bouhraoua, à l’entrée de la ville, organisation de quelques tournois sportifs et culturels dans les quatre communes que compte la Vallée du M’zab, tels la pétanque, des journées de poésie populaire et des soirées musicales….Voila de quoi meubler davantage cette manif traditionnelle qui sera accompagnée de quelques festivités parallèles. En plus des jeux, il y aura des expo-ventes de produits artisanaux que proposeront différentes associations et microentreprises de jeunes filles, un concours national du meilleur tapis, qui on ne sait pas trop si le jugement ira dans le sens de la modernité d’un tapis ou de son aspect authentique.
Le tapis, tout un langage
Des tapis colorés, rarement unis, mais tous carrés ou rectangulaires……..Ce sont les images traditionnelles que les participants à la Fête du tapis qui se déroule chaque année du 19 au 23 mars, découvrent dans la ville réputée pour la confection de ses supports laineux. Comment sont fabriqués ces tapis qui, à la fois, servent de décor, et protègent des journées rudes ? Art féminin par excellence, ces produits sont le résultat d’un savoir-faire très ancien. Tenez, le tapis de laine pure est un extraordinaire héritage que les artisans, qui véhiculent des références identitaires, ont légué. Le processus de fabrication est transmis, bien entendu, de génération en génération, comme c’est le cas pour le bijou kabyle ou l’art de la voirie. Fidèlement préservée dans les régions rurales, la fabrication du tapis artisanal, métier au féminin, revêt une dimension économique mais également culturelle. Cette fabrication colporte l’imaginaire social et la tradition orale du milieu dont sont issus les tisseuses et les tisserands. A travers les symboles et motifs fidèlement transmis avec raffinement et savoir-faire, un néophyte peut, aisément, déterminer avec exactitude l’origine du milieu de fabrication du tapis « zarbia ». Il arrive à ce que ces mêmes signes et symboles se retrouvent dans des tapis d’autres régions, ou même dans les tableaux de peinture ou les ustensiles fabriqués à base de terre cuite. Le tapis n’est pas seulement un objet décoratif, il est aussi un support pouvant contenir un langage vivant reflétant une culture millénaire riche et variée que seul le génie féminin a pu préserver et transmettre aux générations. Le tapis artisanal est considéré comme » un véritable média » véhiculant des repères qui ont un lien avec le substrat social, représentant la vie quotidienne des tisserandes exprimée à travers des symboles complexes, des figures géométriques et des dessins abstraits chargés de sens. Ces tapisseries traditionnelles fabriquées et confectionnées par le génie familial, expriment fidèlement par des caractères distincts représentant l’appartenance à chaque milieu social d’une région de l’Algérie profonde et l’enracinement aux us et à la culture ancestrale. Chaque région possède son propre répertoire de dessins, de symboles et de décorations représentés par des motifs géométriques tels les triangles et les losanges ainsi que des paillettes et franges typiques. Parmi les régions du pays qui excellent dans la symbolique artistique, véritable ancrage culturel et identitaire, figurent la région de la Kabylie, les Aurès, le M’Zab, Tlemcen, les Hauts-Plateaux et le Djebel Ammour. Du tapis d’Ath Hichem à celui de Beni Izguen en passant par le tapis des Nememcha, de Ksar Chellala, d’Aflou et de Laghouat, l’expression artistique et symbolique propre à chaque région se manifeste à travers les dessins et motifs reproduits et exécutés magistralement par les doigts des tisserandes dotées d’une patience inégale.
Ces tisserandes livrent, à travers leurs tapis soigneusement élaborés, des repères significatifs qui ont un lien direct avec le milieu sociologique immédiat et l’imaginaire social dont elles sont issues. Apprécié comme une valeur ornementale, le tapis constitue, également, une œuvre picturale dont l’authenticité s’identifie aux symétries des dessins qu’il comporte, et chaque région se reconnaît à travers les représentations et styles géométriques assortis de couleurs soigneusement choisies par les artisans. A titre d’illustration, les tapis des régions de Djebel Ammour, de Nador en allant vers Sougueur, Aflou, El Bayadh et Laghouat, se distinguent par des dessins exécutés avec le mariage des couleurs rouge, noire et blanche. Le tapis de Ksar Chellala répond aux styles de tissage bien particulier et comporte une multitude de couleurs et motifs. Et le tapis de Ghardaïa se caractérise par un motif central d’apparence végétale et un motif représenté par une ligne de palmier avec deux couleurs (le blanc et le noir) étroitement lié au milieu naturel. Chacun des symboles et couleurs que renferme le tapis artisanal témoigne d’une pratique sociale, d’un mode de vie propre à une région et d’une entité culturelle inspirée de son vécu quotidien et de l’imaginaire sociologique. Même si la mondialisation a fait que le tapis soit » démocratisé » à coup de production exponentielle, il n’en demeure pas moins que le tapis tissé avec doigté dans un coin domestique soit une véritable œuvre d’art qui a encore de beaux jours devant elle. Tapis rouge pendant la fête !
Yasmine Ben
http://www.lemaghrebdz.com/imprimer.php?id=33961
14-03-2011
12 juillet 2011
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