On saura, jeudi 6 octobre, si le roman d’Ali Magoudi figure sur la courte liste des finalistes du célèbre prix Goncourt à Paris. Un Sujet français ou la quête du père. Un roman de vie.
PUBLIE LE : 04-10-2011 | 0:00
On saura, jeudi 6 octobre, si le roman d’Ali Magoudi figure sur la courte liste des finalistes du célèbre prix Goncourt à Paris. Un Sujet français ou la quête du père. Un roman de vie.
Correspondance France Nassim Ameur
Quelle étrange idée a eue Ali Magoudi d’aller rechercher l’histoire de son père algérien qui ne lui a rien laissé que le silence, et des zones d’ombre en guise d’héritage verbal. Fils de cet homme venu entre les deux guerres mondiales de Tiaret, et d’une mère polonaise, Ali Magoudi a suivi une exhortation lancée en forme de boutade par son père : « Ma vie est un véritable roman, quand tu seras grand, je te la raconterai et tu l’écriras .» Ali Magoudi a grandi, a fait des études et devenu un auteur et un psychanalyste réputé, mais il a enterré son père Abdelkader en 1973 sans en savoir plus sur lui. « Au matin du 25 avril 2008, j’eus cette pensée : ton père n’a pas tenu sa parole ? Ce n’est pas une raison pour ne pas écrire sa vie », explique-t-il dès la première page d’un Sujet français, paru en septembre aux éditions Albin Michel. « J’avais à réaliser l’autopsie du silence paternel », note-t-il. Plus loin, il précise : « Je devais m’embaucher comme détective privé pour retrouver les événements que mon père n’avais jamais délivrés. »
Sa sœur était dépositaire du peu d’éléments de l’histoire du père, le tout tenant dans une boîte à chaussures. A partir de ces maigres pièces, dont un acte de partage immobilier faîte par l’arrière-grand-père en 1880. La filiation établie, il découvre que le passé paternel peut le faire remonter jusqu’à la colonisation française du pays en 1830, et même dans l’Algérie précoloniale puisque cet aïeul serait né en 1820. De cette piste, il tirera les fils jusqu’à retrouver les quelques membres de la famille qui vivent en France, mais aussi les derniers témoins du vivant d’Abdelkader en Algérie. Comme c’est souvent hélas le cas, lorsqu’on cherche à délier l’écheveau de la mémoire, on arrive trop tard. Les anciens ont tous disparu, et peu de documents écrits demeurent. Ali Magoudi découvre le pays ancestral, mais ne saura donc pas pourquoi son père l’avait quitté et quelle était alors l’ambiance autour de cet exil. Par contre, il découvrira que son père n’était qu’ « un sujet français de droit local », et pas un français né en Algérie dans un département français. Même engagé en 1925 dans la marine française, « le service militaire n’entraîne pas l’acquisition du statut civil de droit commun ». D’où le titre que Magoudi va donner à son livre.
L’autre aspect de la vie de son père est le travail qu’il a effectué en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, puis en Pologne. Le lecteur suit cette recherche de fourmi dans les archives avec la patience nécessaire et l’envie par moments de tout envoyer valser. L’énigme de la généalogie entamée et les hésitations devant la tâche à accomplir font de ce livre très personnel, un roman de deux vies, celle du chercheur et celle du recherché. On débusque les traces de celui qui s’engage corps et âme pour retrouver son père. Avec des documents épars dans les archives, c’est exceptionnel de remonter aussi loin dans l’histoire d’un père qui s’est tu toute sa vie. Ceux qui pensent cela impossible, qu’ils plongent avec délice dans ce passionnant roman d’une vie.
N. A.
* Ali Magoudi, un Sujet français,
Albin Michel, Paris 2011, 406 pages, 22 €.
ENTRETIEN
“J’ai découvertà Tiaret une partie de ma famille”
Votre roman est-il un travail de psy ?
Oui, absolument. Je pense que si je n’avais pas fait une analyse approfondie, et si je n’avais pas été dans ce métier, je n’aurais pas fait l’enquête, car, en fait, les secrets énigmatiques que livre un père à son fils, ce sont des secrets que les enfants occultent à leur tour et ne veulent pas connaître.
A quel moment dans vos recherches, vous avez vu que votre travail pouvait avoir un intérêt général ?
Tout de suite. Quand on écrit, on écrit d’abord pour soi. Lorsque j’ai fait lire les deux cent premières pages à deux ou trois amis, ils m’ont dit y trouver un intérêt. Après, lorsque le manuscrit était terminé, quelqu’un m’a dit l’avoir lu dans une journée, qu’il était sous le choc.
Pourquoi ne pas avoir fait ce travail sur votre mère ?
Ma mère, elle, a occulté en même temps que mon père ses secrets, mais n’a jamais occulté les secrets de sa vie à elle. Elle n’a pas d’énigme, pas de rupture généalogique, pas de rupture de langue, ma langue maternelle, c’est le polonais, je connais toute ma famille en Pologne, alors que mon père, non seulement il a posé des énigmes sur son arrivée en France, ce qu’il a pu faire pendant la guerre, et à Varsovie en 1942, et en plus il ne m’a pas transmis sa langue, et il a coupé lui-même tous les ponts avec sa famille, au point que moi, je le pensais orphelin de père. Cela a été une surprise de connaître le nom de mon grand-père, la filiation de mes ancêtres, avec deux ou trois papiers on remonte la généalogie jusqu’avant la période coloniale. Et cela, l’homme ne l’a pas transmis à ses enfants. Si je voulais faire une histoire sur le versant maternel, j’essaierais de savoir dans quelles circonstances mon grand-père maternel est décédé sur le front en 1941 dans un bataillon russe. C’est une des rares choses que tout le monde ignore.
L’Algérie, vous ne la connaissiez pas. Qu’avez-vous découvert à travers vos recherches et votre voyage à Tiaret ?
J’avais déjà fait une petite incursion à travers la visite à des membres de ma famille à Blois, chez mes cousins. Et je suis assez étonné de voir quels liens forts, ils maintiennent avec la branche maternelle issue de Tiaret. Ensuite, j’ai découvert à Tiaret une partie de ma famille.
L’Algérie, c’était plutôt une énigme pour vous. Qu’est-ce que cela vous a-t-il apporté ?
Ce que j’ai vécu à Tiaret, c’est cette espèce de divorce avec une filiation très théorique. Je suis face à mes cousins, on parle de mon père, de nos ancêtres communs. D’un point de vue émotionnel, je suis totalement un étranger par rapport à des gens absolument charmants, qui se mettaient en quatre pour moi, mais je ne parle pas la langue, mes cousines germaines avec qui je m’entretenais ne parlaient que l’arabe, c’était un peu douloureux comme situation.
Propos recueillis par N. A.
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3 octobre 2011
Culture