Je relisais récemment le rapport de la14ième session du Conseil national économique et social (CNES), tenue en novembre 1999, relative à « la problématique du développement agricole : éléments pour un débat national ». Il y était indiqué que sur la décennie 90 « la production céréalière se situe autour de 22 millions de quintaux…et que sur cette période la couverture des besoins de consommation est assurée à hauteur de 20 à 30% ». Dans la décennie 90 en question, caractérisée, au plan financier, par une forte contrainte budgétaire et un déséquilibre de la balance des paiements, les ambitions des pouvoirs publics pour ce secteur étaient forcément modestes. Ainsi il y est dit dans ce rapport cité plus haut que « le programme retenu vise à l’élévation de la moyenne annuelle de production à 30 millions de quintaux, soit une augmentation de 8 millions de quintaux par rapport à la moyenne de la dernière décennie de 22 millions de quintaux par des traitements différenciés des espaces céréaliers ». Depuis, des progrès notables, qui dépassent de loin ces objectifs, sont constatés dans la filière cérealière, mais pas seulement. Ainsi après le record historique de 62 millions de quintaux établi en 2009 s’en est suivi une production de 45,5 millions de quintaux en 2010, renouvelée à peu près au même niveau en 2011 (42 millions de quintaux). Cela témoigne bien des progrès enregistrés et que cela peut aller encore très vite. Mais pour autant peut-on affirmer que nous sommes installés dans un cercle vertueux durable de croissance agricole ? Pour le moment je ne le crois pas ; pour au moins trois raisons. La première est que ces progrès sont encore insuffisants. En 2010 il a été importé pour 1,02 milliards de dollars de céréales et la production locale est toujours dépendante d’intrants agricoles importés : semences, pesticides et même engrais. Enfin la troisième raison est que les transferts sociaux et autres soutiens financiers publics directs sont encore élevés et sont même quelquefois source de gaspillage et de fuite aux frontières. D’abord parlons des semences encore importées pour une grande part. Il y va pour l’agriculture, s’agissant de la production de semences, comme pour l’intégration de l’ingénierie et des composants locaux en matière de projets industriels. Un des enjeux est, par exemple, un marché national estimé entre 70 et 100 millions de dollars pour les semences de pommes de terre seulement. Dans un passé récent un certain nombre d’échecs ont été observés. Rappelons en quelques uns. D’abord celui du centre de biotechnologie de Guellal (Sétif), qui devait produire des semences de pommes de terre avec des partenaires australiens et canadiens avec au final un projet avorté. Il y a eu l’exemple connu de ce navire de 2500 tonnes de semences avariées de pommes de terre refoulé au port de Mostaganem. Il y a aussi l’expérience de production par l’entreprise privée Sodea d’Oran qui a tourné court en l’absence d’un soutien bancaire alors que, paradoxalement au même moment, l’article 54 de la loi des finances pour 2008 exonérait de tout droit de douane l’importation de ce type de produits. Depuis le ministre en charge de l’agriculture nous assure que l’Algérie atteindra en 2013 un taux de couverture de 100% de ces besoins en semences de pomme de terre en partant d’une couverture actuelle de 65% avec 300 000 tonnes produites. La mise en place et/ou la redynamisation d’un dispositif institutionnel de recherche et d’observation facilitera probablement les choses. Il s’agit notamment de l’Union des coopératives chargées de la gestion des semences de céréales, légumes secs et fourrages (UCSLS) installé en janvier 2010, du Centre national de certification des semences (CNCC) et du Laboratoire d’amélioration et de production de semences de pommes de terre (LAPSPT) de Sébaine (Tiaret) avec l’appui d’une assistance technique et scientifique sud coréenne. Mais pour les céréales, les choses me semblent être moins avancées, en tous cas moins visibles. Il y a certes quelques expériences régionales à l’instar de celle d’Oran. Ainsi, selon la Direction des services agricoles (DSA), des semences de céréales devaient être produites, pour la première fois, dans la wilaya d’Oran La DSA d’Oran avait même précisé que le lancement de cette production était favorisé par le fait que les résultats des analyses effectuées, sur une quantité de 10.000 quintaux de céréales par les laboratoires de Sidi Bel-Abbés, Alger et Tiaret, avaient été probants. Les résultats prélevés avaient effectivement confirmé la qualité des semences à un taux de rentabilité de 60 %. Mais pour ce qui est de la réalité du terrain, le journaliste Nouredine Benabbou du quotidien Liberté, signalait récemment les retards dans l’emblavement des superficies oranaises dédiées à la céréaliculture du fait de l’indisponibilité des semences. A l’inverse la coopérative de céréales et légumes secs d’Aïn M’lila a battu son record quinquennal en matière d’approvisionnement des wilayates limitrophes en semences. Elle a ainsi déjà livré 36 064 quintaux de semences, toutes variétés confondues, au titre de la campagne labours semailles 2011/2012. Mais il n’est pas précisé s’il s’agit de semences importées. Ce qui est probablement le cas. Il s’agit là en tout cas d’un problème à suivre. En matière d’engrais la situation est encore plus paradoxale. Les prix des engrais produits en Algérie sont, à ma connaissance, ceux pratiqués sur les marchés internationaux alors que les intrants des usines concernées, essentiellement le gaz naturel et les phosphates, sont subventionnés. Alors la pression de la communauté agricole s’exerce sur les pouvoirs publics pour soutenir une deuxième fois les prix des engrais sortis usine ! Cette problématique touche également les produits pétrochimiques livrés à la branche de la plasturgie. Alors à quoi cela sert d’avoir un double prix de l’énergie, que l’on a du mal à faire accepter au plan international, s’il n’est pas appliqué pour les produits pétrochimiques et les engrais. C’est tout simplement un transfert de rente indue qui ne profite pas à la création locale de richesses. Un autre problème à suivre également. Enfin les progrès enregistrés sont enfin coûteux, pas seulement du fait des subventions publiques versées à toutes les étapes du cycle de la production agricole, mais aussi du fait aussi de l’effacement de dettes antérieures des agriculteurs même si on enregistre une inversion récente de tendance. Le ministre en charge de l’agriculture nous apprend ainsi que 500 000 agriculteurs ont remboursé leur crédit de campagne soit 90% au niveau national. C’est, accessoirement, un argument de moins que pourraient avancer certaines associations patronales pour obtenir, non pas le rééchelonnement, mais l’effacement des dettes des entreprises défaillantes. En ces temps de déficit budgétaire c’est toujours cela de gagné. En conclusion, c’est à l’aune de tous ces composants qui participent au cycle de la production agricole et agroalimentaire, que la problématique de la sécurité alimentaire devrait être traitée. Sans quoi la durabilité des solutions préconisées serait elle-même aléatoire. Tout le monde aura compris pourquoi.
M. M.
Secteur de l’agriculture : des progrès réels mais coûteux et non décisifs Par : Mustapha MEKIDECHE
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19 décembre 2011
AGRICULTURE