Publié le samedi 21 avril 2012 à 11H00 -
Avril 2012. Dans son appartement de Charleville-Mézières, l’ex-pied-noir Christian Mas (en compagnie de son épouse) étreint par l’émotion montre à notre photographe, Karen Kubena, le bien le plus précieux qu’en 1962 il a rapporté de Tiaret, sa ville natale
JE dédie ces lignes à mes amis Catherine, Jacques et Joseph. Ils ne se connaissent pas mais je les sais unis par la même douloureuse déchirure, celle-là même qui n’en finit pas d’étreindre Christian Mas et son frère Jean-Marie.
Retraités, âgés respectivement de 75 et 67 ans, ils habitent Charleville-Mézières à quelques mètres l’un de l’autre. Alors que je m’apprêtais à m’entretenir avec eux Christian m’a tendu tout de go un bocal. Tandis que sur l’étiquette je lisais Terre d’Algérie, mon pays natal. 1937-1962, l’aîné des Mas a éclaté en sanglots. Son frère, au bord des larmes, a tenu bon.
Après un long silence je leur demande de me parler de leur pays. Il a pour nom Tiaret, une ville d’Algérie, à 250 kilomètres au sud d’Oran. D’origine espagnole, leur grand-mère Incarnation Martinez y voit le jour en 1890. Elle y épouse en 1913 le maçon italien Laurent Calderara qui à peine naturalisé français s’en va défendre sa nouvelle patrie sur le front d’Arras d’où il retourne à Tiaret avec trois doigts en moins. Y vient au monde sa fille Laurence Calderera qui en 1936 épouse Marcel Mas mécanicien dans un garage de Tiaret. Christian, leur premier fils, naît l’année suivante, Jean-Marie son cadet en 1945.
Le soleil
« Nous avons eu une enfance merveilleuse, confie Christian. A Tiaret, il y avait à l’époque onze mille Européens et quatre fois plus de ceux que l’on nommait les Indigènes. Dans la ville comme dans l’école communale que nous fréquentions les deux communautés s’entendaient parfaitement. Croyez-moi, le racisme n’existait pas ! Notre père au garage Peugeot ne gagnait pas lourd, maman ne travaillait pas, mais notre richesse c’était le bonheur de vivre au soleil. La rue Bugeaud où nous habitions était toujours animée. Quelle joie de vivre ! Quelle exubérance ! »
Jean-Marie témoigne des grandes vacances passées au bord de la mer chez un cousin chirurgien qui possède une clinique à Mostaganem. La plage, le soleil, la famille, l’insouciance, le paradis ! Mais en 1954 des nuages lourds s’amoncellent dans le ciel des départements français d’Algérie. Des rebelles appelés « fellaghas » multiplient les attentats, prennent le maquis, se battent pour l’indépendance d’une patrie que les pieds-noirs estiment être la leur. La peur et la guerre s’installent. En 1958, alors que Christian effectue son service militaire dans le djebel, son frère, âgé de 13 ans découvre l’horreur d’un attentat meurtrier. Rue Cambon, à Tiaret, explosent deux obus de 105 posées par le FLN dans une Traction Citroën.
« De Gaulle nous est arrivé cette année-là, raconte Christian. Mes parents et moi, nous étions persuadés qu’il allait garder l’Algérie française. En 1960 et 1961, à Tiaret, un pied-noir mourrait par semaine des suites des exactions du FLN. Dans notre rue et ailleurs, nous étions sans cesse sur nos gardes, mais je vous assure que jamais nous n’avons pensé que nous serions obligés de nous exiler à jamais en France. Inutile de vous dire qu’en mars 1962 quand nous avons appris que le cessez-le-feu signifiait que l’Algérie ne serait plus française, nous sommes tombés de haut et de Gaulle en a pris pour son grade ! »
Une valise
A l’été de 1962, à Tiaret, Christian et son frère vivent les premiers jours de l’indépendance, jours où à la différence de ce qui passe ailleurs en Algérie, aucun trouble notable n’est à signaler. Jean-Marie alors âgé de 17 ans est le seul Européen à assister place Pasteur à la destruction de la statue de général Lamoricière, héros de la conquête de l’Algérie. Après l’avoir coiffée d’une poubelle des jeunes gens dont nombre d’entre eux furent des camarades de classe des frères Mas, la réduisent en miettes.
Employé à la préfecture de Tiaret, Christian, âgé de 25 ans, voit chaque matin des soldats du FLN présenter les armes au nouveau préfet, évidemment algérien. Comment demeurer dans une ville, un pays où les pieds-noirs savent que désormais ils n’occuperont plus le haut du pavé ? Le 31 octobre 1962, Jean-Marie, ses parents et ses deux grands-mères quittent leur terre natale non pas dans un bateau, mais en avion. Comme tout bagage, ils emportent chacun une valise en carton.
« Vous n’avez pas idée comme nous étions désespérés, comme nous nous sentions trahis ! » confie Jean-Marie. Un long silence. Il ajoute « J’ai réussi à ne pas pleurer.. Maman et mes grands-mères étaient en larmes. Je n’oublierai jamais la rage de papa. Faut comprendre que nous n’étions pas des colons riches comme Crésus. Tout simplement de modestes gens, victimes innocentes d’événements qui nous dépassaient »
Après de brefs séjours chez des cousins à Marseille, une tante à Toulouse, un oncle à Bergerac, les Mas de Tiaret, à l’exception de Christian, décident de poser leurs valises à Orléans. Pourquoi ici et pas ailleurs ? Tout simplement parce que le chef de famille y a séjourné quand il était soldat en 1940 ! Le centre d’hébergement des rapatriés d’Algérie étant plein comme un œuf, Jean-Marie, ses parents, les deux grands-mères logent dans un petit hôtel jusqu’à ce qu’après deux mois de chômage le père ayant été embauché dans un garage ils louent un appartement.
Quant à Christian, dans une prochaine chronique, nous le verrons débarquer en novembre 1962 à la préfecture des Ardennes.
Qu’en pensent les chênes de nos forêts ?
Yanny HUREAUX
21 avril 2012
Colonisation, Tiaret