Dans la salle du Grand Hôtel d’Alger où étaient réunis, vendredi 11 mai, des dizaines de journalistes algériens et étrangers, un bref râle de stupéfaction a accueilli l’annonce des résultats des élections législatives tenues la veille. Jamais, depuis l’introduction du multipartisme en 1989, le Front de libération nationale (FLN) n’avait obtenu un tel score, 220 sièges sur 462, frôlant ainsi de peu la majorité absolue. A Sidi Bel Abbès, l’ex-parti unique a raflé l’ensemble des sièges, la quasi-totalité à Tlemcen, Bordj Bou Arreridj ou Tiaret…
La victoire écrasante du FLN revêt un caractère, selon l’expression de son secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem, « hautement symbolique » alors que l’Algérie s’apprête à fêter, le 5 juillet, le cinquantième anniversaire de son indépendance. C’est surtout, un message : « printemps arabe » ou pas, les islamistes ne parviendront pas au pouvoir en Algérie.
En 1991, devant la victoire annoncée du Front islamique du salut – ex-FIS, aujourd’hui dissous -, le processus électoral avait été interrompu en catastrophe, ouvrant la voie à un terrible conflit, qui fit durant une décennie entre 100 000 et 200 000 morts. Trente ans plus tard, le courant nationaliste a pris les devants en organisant un match perdu d’avance pour ses adversaires. « C’est un peu le message syrien, la violence en moins », commente le politologue Mohamed ChafikMesbah, un ancien officier supérieur de l’armée. »Cela ouvre de nouveau la voie à l’islamisme radical, qui ne cherche plus la confrontation directe avec le pouvoir, mais qui attend aujourd’hui que la situation mûrisse », ajoute-t-il.
Bien que contestés sur l’ampleur de la participation tout comme sur les scores obtenus par les deux principaux partis de la majorité présidentielle – le FLN et le Rassemblement national démocratique (RND) du premier ministre Ahmed Ouyahia, arrivé en deuxième position avec 68 sièges -, les résultats des élections législatives n’en reflètent pas moins une réalité. Certes, la règle de la redistribution des voix perdues par les petites listes au plus fort reste, dans ce scrutin proportionnel à un tour, a permis, aussi, de doper le score du FLN. Mais quoi qu’ils aient prétendu avant le scrutin, les islamistes en lice, qui pensaient profiter de la vague verte liée au « printemps arabe », allant, pour certains, jusqu’à déclarer qu’ils préparaient déjà le futur gouvernement, ne pouvaient pas espérer l’emporter. Leur arrivée en tête dans Alger la rebelle, unique sur tout le territoire, ne doit pas faireillusion.
Les partis islamistes algériens qui se sont présentés devant les urnes ne sont pas des inconnus. Ils ne sortent pas de la clandestinité, comme en Tunisie, ou de l’opposition, comme le Parti justice et développement (PJD) au Maroc, tout au contraire. La principale formation islamiste algérienne, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) à la tête d’une coalition avec deux autres formations (Al-Islah et Ennahda), baptisée « Alliance verte », est liée au pouvoir depuis 2004. Bien qu’ayant pris ses distances peu avant les élections en sortant de la majorité présidentielle, le MSP avait maintenu ses quatre ministres dans le gouvernement, dont Amar Ghoul, ministre des travaux publics, islamiste sans barbe.
Comme d’autres, et peut-être même plus que d’autres, le MSP a subi les accusations de compromission, de corruption, et d’incompétence, lancées par les Algériens à la face de leurs dirigeants politiques. Le jour du vote, les « barbus » deBab El-Oued ou de Belcourt, hier fiefs du FIS, sont restés chez eux. « Le FIS n’a jamais été un parti politique mais un mouvement de masse, souligne Zoubir Arous, sociologue, spécialiste des courants islamistes. On le retrouve encore dans les 57 % d’abstention qui ont marqué officiellement ce vote. L’islam radical n’a pas disparu, ce sont des courants dormants. »
Pour le pouvoir algérien, le danger ne venait donc pas de leurs partenaires dont il s’était, jusqu’ici, fort bien accommodé, mais de l’extérieur, de la poussée islamiste incontrôlée et du risque de déstabilisation engendré par les révoltes dans les pays arabes voisins. « Le clonage des expériences vécues par nos voisins ne pouvaitpas se faire, déclare au Monde, le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem. Nous avons connu le pluralisme qui a abouti à une razzia dans les communes en juin 1990 [avant l'interruption, en décembre 1991, des législatives]et les gens ont vu comment elles ont été gérées. Ils ont été vaccinés. »
Pour se protéger, le régime n’a pas hésité à brandir la menace de la « main étrangère », de l’intervention de l’OTAN en Libye, à l’activisme déployé dans toute la région par le Qatar - où réside toujours l’ex-leader du FIS, Abbassi Madani. « Nous avons une jalousie maladive de notre souveraineté. Pour d’autres, c’est un défaut, pour nous, c’est une qualité », ironise Abdelaziz Belkhadem. Contre le « printemps arabe », le FLN, hier encore menacé par une grave crise interne, a donc fait à merveille fonction de bouclier. »Il fallait absolument garder le contrôle de l’Assemblée pour parvenir à une révision unilatérale dela Constitution« , juge Mohamed Chafik Mesbah.
Omniprésent sur la scène politique algérienne, le vieux parti historique devraconduire le changement en s’occupant de tout, y compris de l’islamisme. C’est ainsi qu’a été traduite, au grand dam d’une partie du courant nationaliste, la présence en quatrième position sur la liste FLN d’Alger, de l’ex-épouse, Asma Benkada, du Cheikh d’origine égyptienne installé au Qatar et prédicateur vedette de la chaîne de télévision Al-Jazira, Youssef Al-Qaradawi.
mandraud@lemonde.fr
Service International
Algérie, le FLN comme bouclier
LE MONDE | 19.05.2012 à 11h37
Par par Isabelle Mandraud
19 mai 2012
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