LES HARRAR(1)
Après avoir chassé les derniers berbères qui habitaient encore le Sersou, les tribus arabîs unies devant l’ennemi commun, ne tardèrent pas à se diviser et se quereller pour la possession des points les plus favorisés du cercle. Une guerre éclata entre elles Les Chaouias et les Akermas furent vaincus et obligés de fuir, les premiers vers l’Est, les seconds vers le Nord. Il ne resta donc plus dans le pays, que les Saharis qui en occupaient qu’une faible portion et les Ouled Sidi-Khaled possesseurs de tout le reste.
Attirées par l’espace, par la richesse du terrain, chassées de chez elles par des discussions ou des faits particuliers, des tentes parties de diftérents points de l’Ouest, surtout d’audelà du pays occupé par les Djatïra, vinrent par fractions, par familles, quelquefois par tentes isolées, demander aux Oulad Sidi-Khaled, la faveur de s’installer chez eux. Ceux-ci, trop peu nombreux pour le pays resté en leur pouvoir, trop affaiblis pour résister aux attaques qu’on aurait pu tenter contre eux, accueillirent ces auxiliaires, en leur ouvrant le pays. Ce fut là le noyau d’une nouvelle tribu. A ces premières émigrations, vinrent s’en ajouter de nouvelles qu’on accueillait toujours bien, auxquelles on donnait de l’espace. Le bruit de cette hospitalité, de cette générosité se répandit bientôt et la confédération qui se forma ainsi reçu le nom de Mgareuha. parce qu’elle répondait à tous les nouveaux arrivants (Gareuh, approche).
Ce ne fut que plus tard, en 1708, que ce nom fut changé en celui de Harrar, et voici à quelle occasion : Après la défaite de Moulaylsmaël dans le bois qui porte son nom, les débris de son armée en fuite se répandirent de tous côtés. Un certain nombre de fuyards arrivèrent ainsi chez les Mgareuba, qui, au lieu de leur piller le peu qu’il leur restait, ou de leur faire subir de durs traitements, comme cela arriva partout ailleurs, chez les Beni-Ahmer surtout, leur donnèrent hospitrilité et pourvurent à tous leurs besoins jusqu’au moment de leur départ. Lorsqu’on raconta cela à Moulay-Ismaël. il dit que des gens qui avaient agi ainsi devaient être « Harrar » (Horri, homme de bonne naissance). Dès lors, le nom de Harrar remplaça celui de Mgareuba.
Les tentes isolées ou groupes de toutes sortes qui vinrent, ainsi que nous l’avons dit précédemment, s’établir auprès des Mgareuba, donnèrent naissance à des fractions qui prirent généralement pour nom celui de leur chef ou premier venu d’entre eux. Lorsqu’une nouvelle tente arrivait, elle s’établissait dans telle où telle fraction déjà formée, suivant qu’elle y avait des relations antérieures ou qu’elle y trouvait à vivre. Elle était souvent elle-même la souche d’une nouvelle L’action alliée de la première. Les différentes fractions ainsi alliées entre elles, formaient dès lors des groupes qui sont l’origine des 9 tribus actuelles.
Les premiers venus furent les Oulad Bou-Affif. Reconnaissants de l’accueil que leur avaient fait les Oulad Sidi- Khaled, les Harrar considérèrent ces derniers comme leurs marabouts, et dans toutes les circonstances les respectèrent et écoutèrent leurs conseils. C’est ainsi que les Oulad Sidi-Khaled firent partie de la confédération et devinrent Harrar.
Dans les premiers temps, leur richesse ne se composait que de troupeaux ; ils achetaient leurs grains dans la plaine d’Elgris. payant aux Hachem le hag El-Tenia et même recevant peur leurs chefs, l’investiture des grands de cette contrée. Les premiers temps furent paisibles, mais bientôt, le nombre augmentant, la tribu devint forte, et les Harrar, à l’exemple de leurs voisins, commencèrent aussi à s’en remettre au sort des armes du soin de décider les difficultés qui pouvaient s’élever entre eux et les tribus limitrophes ; c’est ainsi qu’il défont lesAngad à Sedjira, près du chott, et les chassent du pays pour agrandir le leur.
En ce moment, ils avaient pour voisins : à l’Ouest, plusieurs fractions des Beni-Ahmer, dont le centre du pays était le djebel Chebka; au Sud, les Oulad Chaib occupant le Ksel ;à l’Est, les Sahari, maîtres du Sersou. Quant aux Harrar, ils avaient pour centre de leur pays Koiidiat-el-Hamira. Bientôt, guidés par le désir de s’emparer de leur pays plutôt que de leur venir réellement en aide, les Harrar firent alliance avec les Laghouat du Ksel qui étaient inquiétés par les Oulad Chaïb et Les Beni-A limer. En- récomp&nse des secours prêtés, les Laghouat du Ksel, au nombre de 7 fractions, promettent aux Harrar de leur donner tous les ans 7 nègres ou négresses ou bien leur valeur. Ce tribut existait encore de nos jours. C’est là l’origine des relations intimes établies entre les Laghouat du Ksel et les Harrar actuels et qui leur a fait demander d’être rattachés à cette tribu. Les Beni-Ahmer repoussés s’enfuirent vers l’Ouest, les Oulad Chaib fuirent aussi et s’établirent dans le pays ou nous les trouvons aujourd’hui. Les Sahari seuls conservèrent leur pays et vécurent en paix avec les Harrar, possesseurs sans rivaux du pays qu’ils ont encore aujourd’hui. Depuis longtemps les Turcs avaient fait la conquête de l’Afrique que leur domination ne s’était pas étendue sur les Harrar. Mais enfin les Hachem, battus par les Turcs, furent contraints de faire leur soumission ; ne pas se soumettre aussi était pour les Harrar s’exposer à voir fermer pour eux les greniers de la plaine d’El-Gris oi^i ils s’approvisionnaient; ils se soumirent donc aux Turcs, mais sans combat. Il fut convenu qu’ils payeraient tous les ans un tribut tixe. Pour éviter des discussions, les Turcs eu.x mêmes, répartirent en 7 parts ce tribut entre les ditïérenles fractions, savoir : Les Oulad Zian 1 part Kàabra et Dehalsa 1 — Ghouadi 1 — Chaouïa et Hassinat 1 — Oulad Azziz 1 — Oulad Zouaï et Oulad Bel-Hoceïn. 1 — Oulad Bou-Aflif 1 — Total 7 parts
Les Harrar voulurent et obtinrent que leurs Siads, les Oulad Sldi-Kraled, en fussent exempts. C’est de cette division que vint aux Harrar la dénomination de Harrar Sebâa. Après leur soumission, les Harrar restèrent longtemps en paix, sans prendre part à aucune guerre ni révolte. Mais en 1803, ils prêtèrent l’oreille aux émissaires de Ben-Chérif et finirent par le suivre. Celui-ci pour les décider vint même chez les Oulad Zian. En ce moment un grand nombre des indigènes des Harrar se firent Derkaoua. Les Harrar partagèrent la fortune de Ben-Chérif, le secondant de toutes leurs forces. Ben-Chérif battu, la division se mit parmi les Harrar, les uns espérant dans sa cause, les autres voulant l’abandonner ; d’où des guerres intestines qui ne finirent qu’à la mort de Ben-Chérif et qui eurent comme l’ésultat final la scission des Harrar en deux parties : Harrar-Cheraga et Harrar-Gharaba, division qui subsiste encore aujourd’hui. Après ce partage, les uns et les autres se soumirent de nouveau aux Turcs, mais ils ne restèrent plus en paix comme par le passé et nombre de fois, pour les mettre d’accord, les Turcs se virent dans l’obligation de les raser, sous les plus légers prétextes. Les Harrar étaient encore agités par ces dissensions intérieures lorsque leur arriva la nouvelle de la prise d’Alger par les Français. Aussitôt qu’Abd-el-Kader leva le drapeau, ils se déclarèrent pour lui et combattirent sous ses ordres jusqu’à la prise de Tagdempt où périrent un grand nombre des leurs. Le pouvoir d’Abd-el-Kader abattu, le Tell soumis, le même besoin d’approvisionnement fit soumettre les Harrar aux Français, comme ils s’étaient soumis aux Turcs. Les Harrar- Cheraga furent les derniers à demander l’aman. Pendant trois ans, période pendant laquelle fut bâti le poste de Tiaret, du commandement duquel ils relevèrent, aucun fait ne vint troubler l’état de paix. Mais en 1845, Bou-Maza leva l’étendard de la révolte; aussitôt les Harrar indécis se retirèrent dans le Sud, attendant les événements. Abd-el~Kader, venu de l’Ouest après ses succès de Sidi- Brahim et d’Aïn-Temouchent, vint camper au milieu d’eux, leur déclarant, pour vaincre leurs scrupules, qu’il allait faire venir sa deïra au milieu d’eux. Alors, les Harrar lui fournirent un goum qui l’accompagna jusque dans la Mitijda, aux portes d’Alger et jusqu’à Bouçaada, dans l’Est. Vaincu, Abd-i’l-Kader ne |ml empêcher les siens de se débaader ; le goum de.-; Ilari’ar rentra dans son pays et la confédération fut forcée de demander l’aman que lui accorda le général de Lanioricicre, sous condition de payer une amende de 900,000 francs. Depuis cette époque jusqu’en l8Gi, les Harrar Clieraga nous sont restés soumis, observant la parole qu’ils nous avaient donnée, exécutant nos ordres, fournissant des goums et des convois à nos colonnes. En 1864, après le combat du 8 avril à Ain-bou-Beker, tous les Ilarrar indécis depuis les complications inattendues dans le cercle de Géryville, entrèrent franchement dans les rangs de Si-Seliman ben Hamza. Ils prennent ensuite une part active à tous les coups de iriain tentés sur nos cokjnnes par les Oulad Sidi-C.heik, et cela jusqu’au ’25 décembre de la même année, époque à laquelle leur soumission est acceptée par M. le général Ueligny qui, à son retouu du djebel Amour, les convoqua tous à Aïn-Kcheb pour être reconstitués et réoiganisés. A cette date, presque tous les Harrar, ayant à leur tête Hadj-Kaddour ben Sahraoui, ont fait leur soumission ; il ne reste plus dans les rangs des insurgés qu’une centaine de tentes, sous les ordres de l’ex-caïd Safi ould Moharnmedbel- A roussi. Mais quehpie temps après, le succès obtenu le 4 du mois de mai 1865, à Benout, sur les fractions qui n’avaient pas encore abandonné la cause.de Si-Mohammed ben Hamzn, la juort du maraliout et l’attitude prise par El Hadj Kaddour ben Sahraoui à l’égard des révoltés, produisirent une grande impression sur les tribus du Sud ; dès lors les Harrar, dont les dispositions nous avaient été sourdement hostiles, se déclarent ouvertement les ennemis des tribus qu’ils avaient suivies en défection. Depuis, les Har.ar sont restés fidèles à la France. Lors del’insurrcction de Bou Amama en 1881, après avoir placé en sécurité leurs femmes et leurs enfants sous les murs de la place de Tiaret, ils prirent part aux expéditions de nos colonnes contre les Oulad Sidi-Cheik révoltés. L’insurrection vaincue, ils rentrèrent dans leur pays pour s’y livrer à leurs habitudes pastorales. Ils ne l’ont plus quitté.
———————————————————————————————————————————–
(1) Les renseignements qui suiveot sont dus à la bienveillante obl igeance de M. le capitaine chef du bureau aralia de Tiaret, M. Delahaut qui a bien voulu nous autoriser à prendre connaissance des documents liistoriques en sa possession
28 juillet 2012
3.Non classé