C’est un cri d’alarme dont les échos me reviennent de tous les côtés au milieu du multiple courrier que me procurent mes modestes libres propos. Je crois, que la lettre que je viens de recevoir d’un aimable correspondant est particulièrement typique et mérite d’être méditée par tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’agriculture et à la France. .
Mon correspondant est un général qui, aussitôt la guerre finie et ayant atteint la surlimite d’Age, s’est réfugié à là campagne et s’est fait avec joie cultivateur.
« J’ai repris en mains, m’écrit-il, un domaine de quinze hectares, jusqu’alors affermé, et je l’exploite moi-même avec un vieux domestique et son fils de quinze ans, prenant parfois un ouvrier supplémentaire, quand j’en trouve,et, faute d’en trouver assez, mettant presque quotidiennement la main à l’outil. Je suis donc constamment victime de cet abandon de la campagne ; de cette raréfaction de la main-d’oeuvre. Je lis sans cesse des lamentations à ce sujet dans les revues et les journaux, et je me dis : « La question est déplacée » ; je vois aussi que le gouvernement lui- même est préoccupé de ce mal sans remède et là, je me dis : « c’est trop fort car c’est lui qui fait tout le mal ». En effet, par suite de tout ce que j’observe autour de moi,je me convaincs de plus en plus, qu’il n’y a pas, à proprement parler, de désertion de la campagne, en tout cas, pas de désaffection du paysan pour la terre.
J’habite, il est vrai, un pays un peu particulier, le pays Basque, profondément religieux et plutôt vertueux. Je suis à 8 kilomètres de Bayonne, 13 de Biarritz.
Qu’est-ce qui nous enlève notre main d’oeuvre : le HAUT SALAIRE, et, sauf pour quelques jeunes filles que la ville séduit, pas autre chose. Lapreu-ve que ce n’est ni le café, ni le cinéma, c’est qu’une quantité de jeunes gens, devenus ouvriers en ville où dans les usines de la commune, continuent à rentrer chaque soir, grâce à leur bicyclette, à la maison familiale, où ils donnent encore un bon coup de main pour les travaux. Mais le salaire d’un ouvrier agricole est généralement ici de 10 francs la journée, non nourri, ou de5 francs nourri. A l’usine, le salaire minimum de la journée est de vingt frs et toutes les journées sont assurées, même par un très mauvais temps. Or, il y avait ( avant la guerre, une seule usine dans la commune ; il y en a quatre actuellement. Une de ces usines a reçu il y a trois ans, par l’entremise d’un homme politique influent, une subvention et, comme.le gouvernement a toujours le geste large, comme s’il était riche, cette usine, une soudière, a reçu six millions !
Aussitôt l’arrivée de cette manne, l’embauchage d’ouvriers nouveaux a pris de grosses proportions et la commune s’est vidée davantage encore de sa main- d’oeuvre agricole.
Il résulte de mes conversations avec les paysans, que le salaire élevé seul attire les bras hors de la campagne et il faut bien admettre que c’est assez naturel. Quand on gouverne, il faut savoir ce que l’on veut. Si l’on trouve qu’il est plus avantageux pour la France d’avoir telle proportion de cultivateurs, il faut limiter le développement de l’industrie, la multiplication des usines et, à plus forte raison, ne pas les arroser avec les millions des contribuables pour les faire pousser. Il faut, en un mot, avoir une politique Agraire, au lieu de procéder par à coups, à l’aventure.
Voilà donc l’essentiel. Ces quelques mots pourraient encore s’agrémenter de considérations accessoires ; mais je ne veux pas abuser de votre temps etc.» Après avoir pris connaissance de l’intéressante lettre d’un excellent ami des miens, j’apprenais le même jour par un correspondantparisien, que les pouvoirs publics s’occupaient de la question. L’office créé à ce sujet serait parait-il,- rattaché au ministère des af- faires étrangères… On s’occuperait d’une plus grande réglementation du statut des ouvriers agricoles Le projet n’est pas encore au point mais il est serieusement sur le chantier. On aurait tort de le négliger.
Un fait acquis : la désertion de la campagne, la difficulté de se procurer de la main d’oeuvre, la quasi-impossibilité d’en trouver une indigène solide et continue. Que ce soit par désaffection de la terre, attrait des plaisirs des villes, peu importe la cause, le fait est là indéniable. ‘ •
Autre fait : l’invasion de la main- d’oeuvre étrangère ; invasion demandée dans une certaine mesure désirable, car la terre ne se contente pas de discours ; il faut la remuer et,pour cela, il faut des bras.
Conséquences des faits ici exposés : que va devenir la mentalité, agricole ?.. Problème angoissant dont la solution dépend uniquement de la qualité de cette main-d’oeuvre. . Si l’on ne nous amène que des indésirables, des fainéants, des révolutionnaires communistes, nos campagnes ne tarderont pas à être pourries : les éléments sains résisteront d’abord, perdront ensuite du terrain, finiront par succomber. ,
Si, au contraire, cette main-d’oeuvre est composée d’hommes travailleurs, , honnêtes, obligés par le simple besoin de quitter leur pays, ou appelés en France par cette » joie de vivre » celébrée par le poète, on peut espérer qu’une pénétration se fera, qu’une fixation les éléments sains interviendra et que de la crainte d’un mal découlera un bien.
Seulement, pour cela il est indispensable qu’une filtralion ait lieu à l’entrée.C’est là que le Gouvernement peut servir à quelque chose ; ne nous illusionnons pas, son inertie ou sa comp;aisance mal avisée peuvent perdre le pays,.Nous reviendrons prochainement sur la main d’oeuvre agricole de notre Empire Nord-Africain et tout particulièrement celle afférente à notre chère Algérie qui fut récemment l’objet d’un si remarquable rapport à la Fédération des syndicats agricoles de l’Oranie. LIBER.
Echo de Tiaret N740 du samedi 27 juin 1925
29 août 2012
AGRICULTURE, Echo de Tiaret Colonial, Emplois