A la suite du scandale de pots-de-vin versés aux responsables algériens pour l’obtention de marchés, le groupe canadien de l’engineering SNC Lavalin a décidé de recruter un spécialiste des grands contentieux liés à la corruption.
Andreas Pohlmann occupera désormais le poste de chef de la conformité et fera valoir ses connaissances approfondies en résolution et en règlement de cas d’éthique. Il est réputé pour avoir supervisé la création et la mise en œuvre du système de conformité et de gouvernance du groupe Siemens qui se trouvait, il y a quelques années, mêlé à plusieurs dossiers de corruption. En somme, ce géant de l’engineering se prépare d’ores et déjà à des batailles judiciaires et des négociations très serrées dans les affaires dévoilées partiellement ces derniers jours par la justice canadienne. Celle-ci a sans doute anticipé sur les résultats d’une enquête déjà ouverte par les autorités algériennes sur le contrat conclu par SNC Lavalin dans la réalisation et l’exploitation de la centrale électrique de Hadjret Ennous (wilaya de Tipaza). Les investigations qui ont duré plus de deux ans risquent d’éclabousser directement l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, en raison de ses nombreuses interventions dans ce dossier.
Hadjret Ennous : la pierre angulaire
Nous sommes en décembre 2005. Alors que tout le monde spéculait sur l’état de santé du président, hospitalisé depuis plus d’un mois en France, Chakib Khelil fait conclure le contrat de la Kahraba Hadjeret Ennous (SKH, Spa) qui restera sans doute dans les annales de l’escroquerie internationale. Par le nombre d’associés et intervenants dans le projet de la centrale électrique de Hadjret Ennous, le flou total s’installe et permet à SNC Lavalin de tirer profit de toutes les failles. Le projet de la centrale de Hadjret Ennous, d’une capacité de 1.227 mW, a été réalisé par pas moins de huit entités. Il y a d’abord la Sonatrach et la Sonelgaz avec 10% pour chacune et Algerian Energy Company (AEC, joint-venture Sonatrach / Sonelgaz) qui détient 29% dans SKH, ce qui fait un total de 49% seulement pour la partie algérienne. Le reste des parts sociales est détenu par SNC Lavalin et Mubadala (un fonds d’investissement émirati), qui ont constitué pour la circonstance une société mixte dénommée Algerian Utilities International Limited (AUIL). Pour le financement de cette opération, Chakib Khelil fera appel à trois banques publiques (BEA, BNA et CNEP) pour apporter 70% du montant du projet, soit 578 millions dollars sur les 826 millions initialement prévus. Ce n’est pas encore fini. Après le départ du gouvernement Ouyahia, qui était totalement opposé à ce projet, Chakib Khelil réussit à introduire le dossier de la centrale électrique de Hadjret Ennous auprès du Conseil national d’investissement (CNI) que présidait l’ancien chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem. Lors de sa 30e session tenue en avril 2007, le CNI a approuvé l’octroi du régime dérogatoire au projet de la centrale de Hadjret Ennous. Ces avantages portent notamment sur une exonération, sur une durée de trois ans, des droits, taxes, impositions et autres prélèvements sur les acquisitions effectuées en importation ou sur le marché local des biens et services. Ils concernent également l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés immobilières affectées à la production. Quant aux avantages accordés au titre de l’exploitation, ils portent sur l’exonération, sur une durée de cinq ans, de l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) et de la taxe sur les activités professionnelles (TAP). Pour couronner le tout, l’Etat est obligé de faire acheminer le gaz naturel jusqu’à la centrale de Hadjret Ennous. Et il aura fallu réaliser un gazoduc de 42’’, à partir de Sougueur wilaya de Tiaret) sur une distance de 273 kilomètres ! Au final, l’Etat a consacré le montant de 16,756 milliards de dinars pour la réalisation de ce projet qui a été confié à la société russe Stroytransgaz. Après avoir déroulé le tapis rouge, il fallait encore faire d’autres concessions à SNC Lavalin. Car, au départ, la Sonelgaz s’était engagée à acheter l’électricité produite par la centrale pour une durée de 20 ans. Et toute la bataille était engagée sur les prix de cession de l’électricité produite. Finalement, le contrat de «tolling» imposé en la circonstance accordera plus d’avantages à SNC Lavalin qui, de surcroît, s’était saisie du contrat de réalisation en EPC de ce projet. Mais, le partenaire canadien ne semblait pas satisfait des conditions et commençait à repousser les échéances de livraison de la centrale. Au passage, il réclamait une rallonge de 200 millions de dollars et finit par obtenir la moitié seulement de ce montant.
Le scandale de Hassi Messaoud
Les affaires de SNC Lavalin avec Chakib Khelil ont dû irriter les pouvoirs publics puisque Ahmed Ouyahia a été dans l’obligation de procéder à l’annulation du contrat de Hassi Messaoud. Ce contrat est aussi rocambolesque que celui de Hadjret Ennous. Le contrat portant sur la réalisation des études et l’exécution des prestations de suivi, contrôle et coordination des travaux du projet de construction de la Ville Nouvelle de Hassi Messaoud a été attribué à SNC Lavalin une première fois en novembre 2008 pour un montant de 38,152 milliards de dinars. Devant les irrégularités constatées par la commission des marchés, l’appel d’offres a été relancé et remporté une fois encore en juillet 2009 par SNC Lavalin pour un montant de 31, 211 milliards de dinars. On aura au moins économisé 7 milliards de dinars. Mais ce contrat a été finalement annulé par le gouvernement, après avoir reçu des rapports sur les irrégularités du cahier des charges et les prix anormalement injustifiés. SNC Lavalin revient encore avec Chakib Khelil dans le dossier du développement des champs d’hydrocarbures de Rhourde Nouss (Quartzites de Hamra). Le 23 juillet 2008, la Sonatrach a signé des contrats des FEED compétitifs pour le développement de ces champs, mettant en course seulement SNC Lavalin et… Saipem. La société canadienne finit par remporter ce contrat en date du 13 juin 2009, pour un montant de 79,283 milliards de dinars. Le commun des Algériens ne retenait de cette opération que le fait qu’elle allait accroître les capacités d’exportation de la Sonatrach à hauteur de 3,5 milliards de mètres cubes de gaz traité et générer 500 millions de dollars de recettes supplémentaires annuellement.
Chakib Khelil part Lavalin reste
Même après le départ de Chakib Khelil, SNC Lavalin a continué à bénéficier de marchés en Algérie. Le dernier contrat, remporté le 16 décembre dernier, porte sur la réalisation en EPC de la station de compression du projet de gazoduc GR4 à Hassi R’mel. Le montant est faramineux, car constitué de 1,99 milliard de dinars, de 19,18 millions d’euros, de 20,40 millions de dollars canadiens et de 65,26 millions de dollars américains. En outre, le groupe canadien reste pré-qualifié dans la course pour plusieurs projets d’engineering de la Sonatrach et risque de rafler de nouveaux contrats, notamment en l’absence de sa principale concurrente, Saipem. SNC Lavalin est également le concepteur de la route nationale RN 77, un projet énorme devant relier Jijel à la ville d’El Eulma et pénétrer l’autoroute Est- Ouest. Ce projet, d’une enveloppe de 2,5 milliards de dollars, se trouve sous la convoitise de plusieurs sociétés étrangères.
Fodil Bettahar
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/02/26/article.php?sid=145740&cid=2
27 février 2013
Sougueur