Du haut d’une montagne rocheuse donnant sur la plaine verdoyante de Taht, à proximité d’un petit village érigé sur les vestiges de Kalâat Beni Salama à Frenda (Tiaret), surgissent les grottes d’Ibn Khaldoun qui ont vu naître sa célèbre «Moqadima» ou introduction à l’Histoire universelle. Perdu dans un dédale inextricable et sans points de repère, le visiteur ignore qu’il se trouve dans un site archéologique haut en histoire où le savant s’isolait pour se consacrer à l’écriture pendant quatre ans (1375-1379). «Les grottes existent depuis la nuit des temps. Elles étaient habitées par des tribus berbères au deuxième siècle avant Jésus Christ. Les romains sont par la suite venus s’installer dans la région où ils ont construit la Kalâa de Beni Salama pour des raisons militaires avant que celle ci ne soit occupée par la tribu de Beni Arif El Hilalia au 11e siècle», a expliqué M. Omar Mahmoudi, spécialiste dans l’histoire des grottes et ancien directeur de la bibliothèque Jacques Berque à Frenda. A l’intérieur on est suffisamment à l’espace. De petites chambres isolées peuvent servir d’abri lors des grandes chaleurs qui caractérisent la région des Hauts Plateaux. Selon les chercheurs, Ibn Khaldoun utilisait une seule grotte pour exploiter son génie d’écrivain en raison de sa situation stratégique, ce qui lui a conféré une dimension spirituelle et intellectuelle. La grotte ou «Khaloua» comme aiment à l’appeler les historiens, a été classée patrimoine naturel par la France au début du 20e siècle. C’est dans cet endroit que le savant aurait écrit la Moqadima de son fameux livre Kitab al Ibar sur l’histoire l’évolution des peuples et l’émergence des Etats.
En 1375, Ibn Khaldoun est envoyé à Taghazout par contrainte, selon M. Mahmoudi. Ebloui par la beauté des paysages, le savant fait part au sultan de Tlemcen, Abou Hammou Moussa, qui l’avait investi de la mission de médiateur auprès des Douaouda, un royaume que le sultan souhaitait annexer à ses terres, de sa volonté de quitter la politique pour se consacrer à la science et à l’écriture.
Bien que sa demande eut été rejetée, Ibn Khaldoun persiste dans sa quête et décide de renoncer à sa mission. A Taghazout où il a élu domicile, le savant a été accueilli chaleureusement par la tribu de Beni Arif qui a intercédé en sa faveur auprès du sultan de Tlemcen afin qu’il puisse s’installer dans cette région avec sa famille jusqu’en 1379. Les grottes subissent l’usure du temps et les projets de revalorisation tardent à venir Les grottes d’Ibn Khaldoun souffrent ces dernières années de l’abandon et de la dégradation due aux différents facteurs atmosphériques. Le plafond de l’une de ses chambres s’est carrément effondré, et des eaux usées provenant du village se sont infiltrées dans le site outre les déchets de toute nature jetés par des visiteurs inconscients. Des associations locales et nombre d’intellectuels de la région ont exprimé leurs inquiétudes face à cette situation désastreuse. Classée patrimoine national en 1968, la Kalâa de Beni Salama n’a pas encore livré tous ses secrets comme pour témoigner encore et toujours d’une civilisation enfouie. «Des pièces de monnaie, de la poterie et autres objets de valeur sont découverts jusqu’à présent par les habitants de la région», a déclaré à M. Besadat Naceri, guide touristique et gardien des grottes.
Saisissant cette occasion, M. Naceri a lancé un appel en direction des autorités concernées afin qu’elles viennent au secours d’un site en plein agonie. Le site a grandement besoin d’un relooking extrême, a souligné l’intervenant. Installation de panneaux de signalisation, aménagement de routes, réhabilitation du site et élaboration de dépliants ayant trait à l’histoire de la région sont autant de projets à réaliser impérativement pour contribuer à la sauvegarde de cet endroit historique et archéologique. Relevant de l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels, M. Naceri a également exhorté ces mêmes autorités à la réhabilitation du complexe touristique Abderrahmane Ben Khaldoun qui se trouve à proximité. Un SOS est lancé par l’association en charge de la défense et de la protection des sites archéologiques de Tiaret pour venir en aide aux grottes d’Ibn Khaldoun qui, à l’instar des autres sites nationaux, sont délaissés par les autorités. En revanche, le directeur de la culture de la wilaya de Tiaret, M. Abdelhamid Morsli, a affirmé qu’un projet de revalorisation intitulé «étude de revalorisation de Khelouat Ibn Khaldoun » a été initié en 2006, mais n’a pas encore été mis en oeuvre «faute de bureau d’étude qualifié». En attendant la relance de projets de réhabilitation, les visiteurs continuent à affluer librement vers le site. Selon le responsable, les visiteurs constituent le plus grand danger qui menace les grottes d’Ibn Khaldoun face au laxisme des autorités.
Douzième année – Numéro 3909 – Lundi 6 Mai 2013 – www.echo-doran.com – Prix 10 DA
6 mai 2013
ECHO D-Oran, FRENDA, HISTOIRE