- LITTÉRATURE
- SAMEDI 6 AVRIL 2013 17:19
Quand nous entamons la seconde moitié du Xxème siècle, les horizons de la population algérienne sont sombres. Dans les grosses villes, les principales places et artères pullulent de cireurs et de porteurs.
« Quelques centaines d’enfants algériens musulmans errent comme de petites bêtes égarées, dans les rues de nos villes et de nos campagnes. Les uns sans la tente familiale, les autres sans autre lien avec la société que la mendicité qui déshonore toujours un pays ». (La République algérienne du 24 juin 1949 – article de Malek Bennabi). La ville de Tiaret, qui a connu un exode rural depuis le début du 20ème siècle, se trouve en 1950 avec des îlots d’habitat précaire et un grand nombre de chômeurs.
En février 1950, on recense 1.328 chômeurs dont 500 se trouvent dans le dénuement de plus complet. Ce chiffre augmente toujours. A la fin de la même année, les chômeurs algériens de la ville de Tiaret sont au nombre de 2.000. Ici, la misère s’est confortablement installée. « Le chômage, l’ignorance et les taudis sont les résultats inévitables de la profonde misère qui accable nos masse » (La République algérienne du 4 avril 1952 – article de Kaid Ahmed).
En 1952, sur les 18.000 habitants algériens de la ville de Tiaret , 13.000 se trouvent sans emplois définis et réguliers. Dans la périphérie, il existe quatre îlots d’habitat précaire comprenant 666 taudis où vivent 1.035 enfants âgés de moins de 15 ans et 2.498 personnes au-dessus de cet âge, soit une moyenne de 7 personnes par pièces de gourbi. Dans le reste de la ville, la situation n’est pas pour autant meilleure. 13.567 Algériens sont entassés dans 2.700 pièces construites en dur.
Sur les 5.000 enfants d’âge scolaire, 3.000 se trouvent dans la rue. Dans le pays, le pouvoir d’achat se dégrade tous les jours. La malnutrition atteint la majorité des foyers algériens. Les institutions coloniales reconnaissent cette situation : « Cent mille francs pour nourrir, vêtir et entretenir une années six personnes, telles sont les ressources du rural moyen.
Il ne faut pas s’étonner de le voir se nourrir que de galettes d’orge et de lait caillé, ne pas ou peu consomme de café et de sucre, n’utiliser ni huile ni savon » (L’Algérie du demi-siècle vue par les autorités locales ). Quand l’association des chômeurs est née en octobre 1988 à Tiaret, je ne me suis pas empêché de penser tout de suite que, décidément, celui qui a proclamé que l’Histoire est un éternel recommencement à parfaitement raison.
Car, en vérité, à Tiaret, l’Histoire se répète. Elle s’est répétée avec une fidélité surprenante, si bien qu’aujourd’hui nous sommes en droit de croire que la conscience de la jeunesse des années 1950 continue à hanter les murs de Tiaret. Comme nous l’avions souligné en préambule, la ville de Tiaret des années 1950 était une ville qui souffrait d’un très fort taux de chômage. Puis un beau matin, les jeunes Tiarétiens décidèrent de fonder une association de chômeurs. Aussitôt dit aussitôt fait. Ils se réunissent plus exactement le 23 décembre 1952.
« Les jeunes chômeurs de Tiaret se groupent pour défendre leur droit à la vie » titre le journal nationaliste de l’époque, La République algérienne. Dans sa déclaration finale la jeunesse locale n’a pas manqué de déplorer : « Le néfaste état d’esprit qui règne dans les entreprises publiques et privées, où toutes les portes de toute activité lui sont hermétiquement fermées ». (La République algérienne du 16 janvier 1953).
Jusque là vous me dites que la situation sociale peut à n’importe quelle époque inciter des jeunes à s’organiser en une association de chômeurs, comme ce fut le cas des jeunes tiarétiens en 1952 et en 1988. Mais pour le sujet qui nous concerne, l’histoire ne s’est pas arrêtée à cette simple répétition qui consista en l’institution d’une association de chômeurs. Je fus grandement surpris de constater que l’association de H’bib Belguidoum suivra le même itinéraire que celle qui l’a précédée 40 ans auparavant.
L’association des jeunes chômeurs de Tiaret née en 1988 évolua si rapidement qu’elle n’a pas tardé à donner naissance à un véritable mouvement nationale qui aboutira en définitive à la fondation de l’Association nationale pour la défense du droit et la promotion de l’emploi. Prenons donc le soin d’interroger le passé pour établir le rapport qui va nous édifier sur la similitude des faits.
Les jeunes tiarétiens de 1952 étaient conscients que le chômage était un phénomène qui sévissait partout en Algérie. C’est en ce sens que déjà à cette époque, ils ont appelé « Tous les jeunes algériens, sans distinction d’aucune sorte, victimes du même sort à travers le pays, à appuyer et renforcer leur mouvement dont le succès ne peut dépendre que d’une organisation cohérente et coordonnée à l’échelle algérienne » (La République algérienne du 16 janvier 1953).
Dans la même déclaration du mois de décembre 1952, les jeunes tiarétiens souligneront que le chômage était « Un fléau qui n’a que trop duré dans ce pays et dont les conséquences pourraient être d’une haute gravité à plus ou moins brève échéance ». (La République algérienne du 16 janvier 1953) Prophétie ? Car deux ans plus tard, le jeunesse algérienne était en armes contre le colonialisme français. En 1952, l’association locale reçu l’écho à travers tout le pays.
D’autres jeunes s‘organisèrent de la même manière que ceux de la ville de Tiaret et ainsi naquit un mouvement de lutte contre le chômage à travers tout le territoire grâce à l’initiative des jeunes chômeurs deTiaret. Quarante ans plus tard, les mêmes mécanismes sociaux se répètent. L’initiative de H’bib Belguidoum et ses compagnons fait boule de neige et donne naissance à un véritable mouvement dont les revendications font l’objet de débats au niveau des autorités centrales et locales.
Inutile de faire le bilan de l’association. Il est riche. L’action doit être approfondie pour de meilleurs résultats. Je me limite uniquement au fait historique. Et l’histoire, je n’invente rien, est si riche enseignements. Etre à l’écoute du passé est le devoir de tout un chacun. J’ajouterai Cependant que notre guerre de libération nationale comportait dans son essence même des objectifs qui impliquaient la libération sociale.
C’est pourquoi je m’insurge contre les thèses puériles qui veulent nous faire admettre que le mouvement révolutionnaire algérien avait pour unique mission la libération du territoire, œuvre réalisée en 1962 au prix des sacrifices que l’humanité tout entière n’est pas prête d’oublier.
D’autres tâches nous attendaient, à savoir donner à chaque famille algérienne sa part de bonheur et de prospérité, condition capitale qui garantirait la paix sociale. C’est dire que nous n’avons pas le droit d’admettre dans la vie de tous les jours l’existence des « laissés-pour-compte ». La dignité d’un être humain est protégée, entre autres, par une activité salariale.
C’est-à-dire le moyen honorable et honnête de vivre et de faire vivre les siens. Notre pays qui a mené l’un des plus prestigieux combats anticolonialiste doit aujourd’hui poursuivre la lutte contre la misère, l’analphabétisme, l’obscurantisme, la maladie, affres dont avaient effroyablement souffert les générations qui avaient vécu sous la domination française. L’Algérie des défis, l’Algérie des braves de Novembre, notre belle et sublime Algérie, n’a plus le droit d’accepter qu’une partie de ses enfants soit obligée de s’humilier pour vivre. Les jeunes tiarétiens l’avaient proclamé avec force avant nous, en 1952.
Ils mérite notre hommage. Laissons-les conclure : « Les jeunes chômeurs estiment que la situation qui leur est faite est inhumaine et ne peut s’éterniser. Les demi-mesures, qu’elles s’intitulent ‘aide aux miséreux » ou « fonds de résorption du chômage », ne peuvent résoudre un problème qui relève d’une complète refonte de l’esprit public et d’une véritable réorganisation économique et sociale ».
(La République algérienne du 16 janvier 1953). Février 1991 – article paru dans El Massir, organe de l’Association nationale pour la défense du droit et la promotion de l’emploi qu’a présidée un jeune chômeur de Tiaret : M. Hbib Belguidoum. (En épiant l’histoire – Ed. Alpha – Alger – 2010)
Amar Belkhodja (*)
17 juin 2013
Amar Belkhodja, Culture