Ici l’histoire d’une prophétie apocalyptique de Larbi, un homme pas comme les autres Arabes, arrivé à l’article de la mort le jour même où le soleil se leva enfin à l’Ouest. Par une sorte de mauvais rêve diurne, Larbi se réveilla au milieu de la nuit pour rédiger sa funeste prédication qu’il placarda aux premières aurores au dos d’un mur décrépit, paumé dans une cité abandonnée, jusque par ses mendigots «repus ». Avant de disparaître à jamais, mille lieues sous la terre ferme, voici à une monosyllabe près le contenu du mystérieux dazibao, légué à l’improbable postérité, par Larbi le malturbé. : «Alors comme ça, il a fallu vivre mes derniers instants pour (ré) apprendre que 132 ans de longue nuit coloniale n’ont pas suffi à changer le peuple algérien. Et qu’une fois la lumière recouvrée, des «en-sait-néant» sont venus de derrière la mer rouge pour « lobotomiser » l’esprit fragile de nos bambins, devenus aujourd’hui de vaillants militants de la seule «cause» qui vaille, celle qui voudrait que le meilleur soit toujours ailleurs ! Moi Larbi Ould Larbi, je suis né par des temps improbables où les médecins sont les premiers à partir quérir la santé ailleurs, les boulangers les seuls à manger de leur pain blanc, et le peuple le seul à croire que le pays peut très bien fonctionner sans lui. J’avais l’âge de la (dé) raison quand j’ai adhéré à un parti politique devenu trop vieux, mais sans jamais prendre un cheveu blanc, une seule ride, ou même un traître pli. Moi-même devenu une tête de macchabée, avec des chicots pourris, une boule à double zéro, et une peau fripée, mon hiz’b à moi refuse toujours de changer de fusil d’épaule. C’est qu’il veut aller au-delà du temps et des âges, à rebours d’une mort biologique pourtant inévitable. J’appris, donc, à mes seuls dépens, que devenir un homme était le plus ingrat des métiers masculins Devenu «frontiste» sans armes ni galons, je vis le pays revenir à la crypto-lumière après une longue nuit noir corbeau. Le pays eut une dalle de fauve pendant si longtemps qu’il voulût tout manger, tout avaler, tout porter sur son dos (sur) voûté. Jusqu’à ce que mort s’en suive. Ses «occupants» se sentaient si à l’étroit qu’ils voulurent prendre la terre entière pour un gîte ultracosmique et le ciel pour un gigantesque miroir aux mauviettes.
Dix lustres plus tard, avant de clamser le cœur brisé, moi l’Arabe, je sus que le pays auquel je croyais appartenir rendit mes mains calleuses, ma tête teigneuse et mon corps avachi. Noyé vivant dans le marigot des caïmans, on m’appela «le martyr vivant du Front», ouvert à tous les coups permis. Je découvris, au milieu de ma vie confisquée et mon destin détourné que mon monde à moi n’était rempli que de mauvais vent, un peu comme un ballon de foot au pied d’un estropié. Je me mis alors à jouer du pied droit, dribblais du pied gauche, feintais de mon corps difforme, plongeais avec ma citrouille tête la première, mais je me réveillai un jour sans pain avec un gros hématome dans le cœur, des poches «éviscérées» et ma caboche de looser pleine de rêves en carton. On m’appela alors le «sacrifié au dos rond». Alors pour terminer mes jours délavés, je voulus faire comme seule une hirondelle sait le faire : manger en volant, boire en volant, et même donner à manger à ses petits en volant Mais démarrant avec mille et une défaites au compteur, sans même avoir entamé mon chemin de «Troie» vers un hypothétique succès, mon pays fut rétrogradé au sous-sol du plus terrible des purgatoires. Sur ma tombe encore mouillée, l’on fera planter un écriteau en plastique remâché avec écrit dessus avec une encre fermentée : «ici repose Larbi, mort d’avoir cru que la politique n’allait jamais un jour fatiguer les organes vitaux de la République !»
7 juillet 2013
Culture, El -HOUARI Dilmi, Quotidien D-Oran (Le )