le 15.07.13 | 11h53 | mis à jour le 15.07.13 | 13h37
Notre projet :
Et si on reprenait tout du début ? Sans préjugé, sans facilité ? Et si on allait là où on ne va jamais, histoire de redécouvrir la réalité ?
Chiche ! Pendant une année, nous irons ensemble à Baraki (Alger), El Kouif (Tébessa), Sougueur (Tiaret), Abalessa (Tamanrasset), El Hadjar (Annaba) et El Menia (Ghardaïa).
Un seul objectif : rencontrer des habitants pour connaître leurs préoccupations, leurs rêves, leur quotidien et essayer de comprendre quelle sera l’Algérie de 2014. Pourquoi ces villes ?
Parce qu’elles nous paraissent représentatives de la complexe réalité du pays. Mais aussi parce que derrière des stéréotypes bien ancrés et malgré leur petite taille, il y a dans ces villes les hommes qui construisent le pays de demain.
Abalessa : l’esprit de Tin Hinane résiste au machisme
El Hadjar : cinquante ans à regarder couler l’acier
http://www.elwatan.com/actualite/cinquante-ans-a-regarder-couler-l-acier-05-07-2013-220002_109.php
Baraki : Un brushing chez Linda
http://www.elwatan.com/actualite/un-brushing-chez-linda-10-05-2013-213152_109.php
Baraki : Abdellah Draoui, une vie au stade
http://www.elwatan.com/actualite/abdellah-draoui-une-vie-au-stade-07-06-2013-216526_109.php
Ménéa : «Donnez moi wilayati !»
http://www.elwatan.com/actualite/menea-donnez-moi-wilayati-14-06-2013-217365_109.php
Ménéa : «gardez votre pétrole M. Sellal !»
http://www.elwatan.com/actualite/gardez-votre-petrole-m-sellal-12-07-2013-220732_109.php
El Kouif : Au café, des mines de phosphate à facebook
http://www.elwatan.com/actualite/au-cafe-des-mines-de-phosphate-a-facebook-17-05-2013-213959_109.php
El Kouif : Les souvenirs de Bachir l’instituteur
http://www.elwatan.com/actualite/les-souvenirs-de-bachir-l-instituteur-28-06-2013-219070_109.php
Nos plus sur www.elwatanproject.com :
Quand Baraki flirtait avec les sommets
http://www.elwatanproject.com/2013/06/07/baraki-aux-sommets/
L’inconscience écologique pénaliste Tamanrasset
http://www.elwatanproject.com/2013/05/26/linconscience-ecologique-penalise-tamanrasset/
Tahabort : ça pétille sus 40°
http://www.elwatanproject.com/2013/05/30/tahabort-ca-petille-sous-40/
© El Watan
16 juillet 2013 à 20 08 27 07277
Au café, des mines de phosphate à facebook
le 17.05.13 | 10h00
Au café Lieutenant, les habitués refond le monde et espèrent que le patrimoine de la ville comme le vieux château ( à gauche) sera restauré.
| © El watan week-end
Au café Lieutenant, les habitués refond le monde et…
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Près de la frontière tunisienne, la ville d’El Kouif ( Tébessa) porte les stigmates de la fin de l’exploitation de ses mines de phosphate. Aujourd’hui, la ville oscille entre regrets d’un passé prospère et espoir d’un avenir meilleur dans un pays étranger.
Il est 4h du matin. Au sommet d’une montée abrupte, entre deux virages, la ville d’El Kouif apparaît. Au-dessus des deux vallées se trouvent les trois villages de la ville dont la plupart longent des sentiers. A première vue, une rangée d’anciennes villas jaunies sont encore intactes, malgré quelques fissures apparentes. Elles ont été construites au début du XXe siècle pour loger les cadres et les mineurs européens qui venaient travailler à la mine de phosphate. Dans l’autre partie de cette ville que l’on l’appelait autrefois «Petit Paris», et au milieu des friches libérées par 35 ans de déclin de l’exploitation, le paysage est lunaire : une gare, une ancienne église, un petit complexe sportif et les hangars d’un concasseur entourent les vestiges de l’époque coloniale.
Dans la tranquillité matinale, les échoppes du centre-ville sont encore fermées mais les passants se dirigent vers le café pour prendre leur petit-déjeuner avant de rallier leur lieu de travail. Le café Lieutenant ouvre ses portes chaque matin depuis 50 ans. On l’appelait «Café Papillon», un sobriquet donné à un serveur kouifien comparé par les Français à un papillon pour sa rapidité et la blouse multicolore qu’il portait. Au fil des années, il est devenu l’endroit privilégié des Kouifiens, une échappatoire pour tuer le temps et partager des idées. Dès le matin, jeunes et moins jeunes s’y mélangent pour boire du café, du thé à la menthe ou encore fumer du narguilé.
Tuer le temps
Ce matin-là, la journée s’annonce chaude. Les marchands du souk hebdomadaire affluent vers le café. L’endroit est très spacieux avec de hauts plafonds et de grandes fenêtres qui donnent sur une vaste cour qui sert de terrasse. Sur le mur, fraîchement repeint, est accrochée la photo du propriétaire en uniforme militaire, entourée de deux faux fusils de chasse. Trois hommes âgés regardent les informations. Hadj Madjid est un habitué du lieu. «Après avoir fait toutes les commissions pour ma famille, je viens ici pour m’évader et tuer le temps avec mes amis», dit-il d’une voix enrouée.
Face à lui, ammi Rebaï désigne des photos d’El Kouif durant l’époque coloniale. «A cette époque, nous bossions comme des Nègres dans la mine de phosphate», raconte-t-il. Un grand homme barbu ajoute : «Avant, on appelait la ville le Petit Paris. Depuis le déclin de l’activité de la mine en 1978, c’est devenu une ville fantôme sans ressource ni rien ! Où sont les vestiges de la mine ? Où sont le concasseur en ferronnerie, la piscine et le poste d’oxygénation ? Pourquoi n’a-t-on pas pu conserver ces choses-là ?» Le café Lieutenant évoque chez les anciens kouifiens, les mineurs en particulier, le passé de la ville. Ici, on débat de tout et de rien. «Parfois, des querelles éclatent entre nous et nous restons fâchés toute la journée», déclara Madjid en riant.
Dans l’après-midi, le café s’ouvre aux jeunes. «Le matin, pas de fumée de narguilé ni de wifi. Ensuite, l’après-midi c’est pour les jeunes qui viennent se détendre après une journée dure de travail», explique Salim, le jeune propriétaire du café. Le premier arrivé est Ayoub, un passionné de moto de 21 ans, électricien automobile. D’un geste furtif, le serveur lui apporte du thé à la menthe et un narguilé. Pour lui, le rendez-vous avec ses amis est incontournable. «On vient souvent après le travail», dit-il.
Wifi
Un jeune pompier se joint à lui. Taki est un fervent supporter de l’équipe de foot du Real Madrid. Mais après l’élimination de l’équipe en Champions League, Ayoub dit en souriant : «C’est fini pour les équipes espagnoles, il va falloir laisser la place à d’autres !» Quelques minutes plus tard, Bilel, 25 ans à peine, s’assoit à leurs côtés. Diplômé en droit, il a dû se transformer en vendeur de vêtements pour aider sa famille. «Bilel est un vrai connaisseur, il nous rapporte tout ce qui est nouveauté pour les jeunes», confie un jeune militaire assis de l’autre côté du café.
Depuis que le café est doté d’un système wifi, il est très prisé par les jeunes qui viennent avec un lap-top ou un téléphone portable pour conquérir virtuellement le monde. Facebook, twitter et Skype sont les favoris de la navigation. Chatter avec des filles de l’autre côté de la mer est un espoir de mettre un pied en Europe. Ils disent qu’ils veulent fuir la misère, le manque de distraction, la bureaucratie et le chômage. Ils déplorent les salaires dérisoires avec lesquels on ne peut ni acheter une maison ni fonder une famille. Rahim, 29 ans, chômeur, est replié dans un coin au fond du café, les yeux rivés sur son ordinateur. «Je parle via Skype avec mon amie, une Roumaine qui vit en France. Elle m’a promis de m’envoyer une attestation d’hébergement pour demander un visa et aller en Europe pour m’y faire une situation.»
Vieux château
Quelques scènes du film La nuit s’achève, du producteur Pierre Mère, y ont été tournées. Le film raconte l’histoire d’un mineur d’El Kouif qui devient aveugle après une explosion au fond d’une mine. On raconte que le grand acteur français Jean Gabin y a passé un week-end. Il y a six ans, l’édifice de la Société nationale de recherche et d’exploitation minière (Sonarem) fait l’objet d’un litige après la vente au dinar symbolique, conclue entre la mairie et un entrepreneur. La vente n’est pas du goût des habitants. «Pourquoi ne pas le transformer en musée pour collecter tout objet qui concerne la mine de phosphate ?», sinterroge l’un d’eux. Pour Kaïs, un jeune lycéen, il faut transformer cette bâtisse en une auberge ou une bibliothèque pour les jeunes. Les habitants veulent désormais créer une association pour sauvegarder la ville.
Lakehal samir
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16 juillet 2013 à 20 08 25 07257
Ménéa : «Donnez moi wilayati !»
le 14.06.13 | 10h00 1 réaction
Dans l’ancienne ville ottomane, aujourd’hui carrefour…
Khaled, Berni, Abdelkrim et Othmane sont jeunes et très attachés à leur ville, El Ménéa, et à leur région qu’ils jugent marginalisée, mais apte à s’élever au rang de wilaya. Pas un caprice comme l’avait décrié le chef de l’Etat dans d’autres villes. Mais juste le désir ancré de vivre mieux.
El Ménéa de notre envoyé
Sous un soleil blanc, Berni, la trentaine, pose devant la tente de la «wilaya» de Ménéa : à cause du vent violent, les jeunes ont attaché l’énorme toile autour d’un poteau d’éclairage du square jouxtant l’APC, où s’éparpillent des migrants subsahariens réfugiés sous d’énormes eucalyptus. C’est plus une voile, dont on devine les slogans inscrits dessus en rouge dans les plis, clouée à son mât qu’une tente proprement dite, mais c’est déjà un symbole.
«C’est connu dans tout le pays cette affaire», lance, résigné, le gendarme venu inspecter l’agitation atour de ce monument de fortune causée par la présence d’un photographe de presse. Il y a deux mois, des jeunes, chômeurs diplômés pour la plupart, d’El Ménéa, à 870 km au sud d’Alger, ont monté une tente en guise de siège de wilaya, avec services, directions et même et un faux wali, recevant les doléances des citoyens, accueillant des réunions pour débattre des problèmes de la région et réunissant 15 000 signatures, dont celles d’élus locaux, pour faire d’El Ménéa une wilaya.
Centre
La ville qui se découvre, en arrivant de Ghardaïa sur la RN1 et après la nouvelle et gigantesque prison, au détour de collines rocheuses, garde une vieille mémoire de l’éloignement. Du bannissement. C’était ici la dernière frontière de la Régence d’Alger : les deys et pachas envoyaient croupir là les bagnards et les proscrits. Plus tard, la vieille prison de la ville, que les jeunes voudraient voir transformée en musée, a accueilli l’exil de Messali Hadj ! C’est le dernier carrefour routier et urbain avant de plonger aux confins du grand Sahara, vers In Aménas-Tamanrasset par le sud-est, ou vers Timimoun-Adrar-Bordj Badji Mokhtar direction sud-ouest. «Nous sommes le vrai centre de l’Algérie, mais apparemment tout le monde l’a oublié», regrette Berni.
C’est aussi une zone éponge où se concentrent tous les problèmes du Grand- Sud, émigration clandestine, trafic en tous genres… Un centre de transit à l’échelle de la densité des circuits formels et informels qui traversent El Ménéa. «Six cents kilomètres aller-retour pour un cachet sur un document, pour la plus anodine des procédures, c’est beaucoup !», explique Khaled, 29 ans, ingénieur en électromécanique au chômage depuis 2007, «alors que j’ai même appris l’anglais pour faciliter mon embauche dans des multinationales, en vain».
El Ménéa faisait partie, jusqu’au dernier découpage des années 1980, de la wilaya de Laghouat avant de dépendre de Ghardaïa, à trois heures et demie de route plus au nord. «Le chef-lieu de wilaya est à 270 km exactement, c’est trop loin pour continuer à être administré à partir de Ghardaïa, ajoute Berni. C’est aussi la seule manière de développer cette région qui n’a pas connu de programme d’habitation de plus de 1000 logement depuis 1962.» Seul projet en vue, la nouvelle ville à l’entrée d’El Ménéa, vieux projet de 1982, relancé récemment pour créer un pôle national de maintenance de l’appareillage agricole et une ville de 25 000 habitants dans un premier temps. «Mais c’est un projet national décidé à Alger ; El Ménéa a besoin de projets d’ici, wilayals, urgents», nous explique un journaliste de la région.
Marginalisé
La daïra d’El Ménéa compte 60 000 habitants, la ville elle-même 35 000 et les projets sectoriels se font rares. L’agriculture dans cette région, championne mondiale de l’orange dans les années 1950, est emprisonnée dans des dédales bureaucratiques. «La région s’endort sur une immense nappe phréatique. Nous avons beaucoup de surfaces agricoles, El Ménéa pourrait devenir le grenier de l’Algérie», dit Khaled.
La seule manufacture qui rapporte, c’est celle des jeunes artisans qui fabriquent des armes blanches pour des gangs à 3000 DA le sabre. «Même nos demandes de déléguer des directeurs exécutifs pour El Ménéa ou des annexes de direction des affaires sociales ou de l’éducation par exemple sont restées lettre morte à la wilaya de Ghardaïa, renchérit Abdelkrim, 35 ans, cadre de l’UNJA et enseignant de philosophie au chômage, ils nous ont aussi délocalisés vers Ghardaïa les classes de bac pour les candidats libres qui doivent alors dépenser dans les 5000 à 10 000 DA durant la période d’examen pour se nourrir et se loger. Ils refusent d’aider les investisseurs agricoles de la région…» «En fait, avec tout cet argent qu’on dépense dans les bus à chaque petit problème ou à chaque procédure normale, c’est comme si on payait un impôt de plus», ironise Othmane, jeune entrepreneur dans la construction.
«Nous sommes otages des transporteurs privés qui augmentent les prix des billets à leur guise, sans le contrôle d’aucune autorité. Et en plus, en arrivant à Ghardaïa, on s’entend souvent dire que le préposé au guichet n’est pas là, ou qu’il manque une pièce dans le dossier, qu’il faudra de toute manière revenir…», s’emporte Abdelkrim. Ce dernier embraye sur le volet social : «Le fait d’être rattaché à Ghardaïa minimise les chances d’intégration des travailleurs à bas revenus. Sur 143 postes décidés par la wilaya, on nous prend 7 puis 8 en deux étapes, alors que la demande explose ici.» «Des malades meurent en route quand on les transporte vers le nord ou vers Ghardaïa, et il faut payer douze millions de centimes pour une ambulances spéciale vers Alger. Car ici, il n’y a rien à l’hôpital», appuie Khaled qui a ainsi perdu sa nièce de 6 ans après une morsure de scorpion faute de sérum sur place.
Distances
La route est le seul lien d’El Ménéa avec le reste du pays. Son aéroport, le premier du Sud et l’un des plus grands juste après l’indépendance, est en réfection et ne sert que comme base aérienne militaire. «Amar Ghoul a aussi promis de rénover les axes routiers vers Ouargla et Ghardaïa, on attend depuis 2008», lâche un journaliste local. «Je peux comprendre qu’à Alger, les distances ne sont pas un problème pour le découpage administratif, ce n’est pas un paramètre à prendre en compte, mais ici, du sud de Laghouat jusqu’aux frontières, l’unité c’est en centaines de kilomètres, indique Othmane. Je veux bien être soumis à la norme nationale, mais là, c’est une réalité géographique et humaine que le gouvernement ne peut ignorer.»
«En fait, on sent que l’administration a déserté El Ménéa, c’est trop loin et personne ne veut se casser le dos sur la route pour venir nous voir, ironise encore Othmane, on a laissé les élus et la société civile dans un face-à-face tendu.» «Il y a absence de volonté politique, conclut avec un clin d’œil un des jeunes. Parce que, vous savez, quand l’Etat décide de réaliser une chose, il le fait : regardez la nouvelle prison !»
Adlène Meddi
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16 juillet 2013 à 20 08 23 07237
Abdellah Draoui, une vie au stade
le 07.06.13 | 10h00
Abdellah est un homme de football. Il est capitaine lorsque les Blanc et Violet de Baraki accèdent à la deuxième division en 1984. Si, à l’époque, toute la petite ville vibrait pour le sport, aujourd’hui, le football est devenu un moyen d’éloigner les jeunes de la violence et de la drogue.
C’était en 1984. Le petit club de football de l’US Baraki accédait à la deuxième division. Une ambiance terrible. La foule des grands jours à chaque entraînement. Des stades combles à chaque match. Abdellah Draoui avait 27 ans et était le capitaine de l’équipe de la petite ville depuis 6 ans : «Nous avions une petite équipe, pas de stade, nous jouions toujours à l’extérieur.» Pas de bus. Celui de l’APC de temps en temps. Mais souvent, un bus de location, payé avec les économies de bénévoles, tout comme les équipements. La condition physique ? «On n’avait que la forêt pour travailler !» Si les entraînements sont durs, l’équipe remporte ses matchs les uns après les autres : «Nous étions les meilleurs.» Les meilleurs ? Grâce à l’entraîneur Nour Benzekri qui revenait de Belgique avec la technique des 4-4-2. «Les autres équipes ne comprenaient pas ce qui se passait», sourit Abdellah. La ferveur gagne quelques quartiers d’Alger. Même les collègues d’Abdellah, qui travaillait à l’époque pour Sonatrach, ne ratent pas un résultat. L’équipe, elle, reste solidaire. «On jouait pour les couleurs, pas pour l’argent.»
L’année suivante, les autorités locales n’aideront pas le club à se financer. Les meilleurs joueurs s’en vont. L’équipe ne restera en deuxième division que deux ans. Abdellah Draoui reste à Baraki, il devient entraîneur. «C’est en 1990 que nous sommes revenus à un bon niveau.» Cette année-là, Baraki prend la tête du championnat de 3e division. Mais le club incorpore un joueur suspendu et se voit refuser l’accès à la division supérieure. Des occasions manquées qui font sourire Abdellah aujourd’hui. En 1993, des problèmes de santé l’empêchent de poursuivre les entraînements. Mais il continue à venir comme spectateur et crée en 1997 une association des anciens joueurs. Depuis, chaque vendredi, ces «vétérans» se retrouvent pour un match. La semaine dernière, l’équipe dont Abdellah est aujourd’hui le manager s’est inclinée 4-2 devant l’Entente de Sétif.
Abdellah restera à Baraki malgré le climat d’insécurité. La nuit du 22 au 23 septembre 1997, Abdellah et sa famille entendront des explosions, croyant que l’armée bombardait dans le quartier voisin. «Au matin, nous avons appris le massacre.» Bentalha n’est qu’à trois kilomètres. Parmi les victimes, le coiffeur de Abdellah et toute sa famille. «Beaucoup de gens que nous connaissions sont morts. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à avoir peur.» A Baraki, certains font leurs valises. Abdellah Draoui restera. «Je passais mes journées à Alger. A chaque période de vacances, nous partions à Oran. Là-bas, on avait l’impression d’être en Espagne», sourit-il.
Insécurité
Au fur et à mesure des années, les habitants d’autres wilayas s’installent à Baraki pour se rapprocher de la capitale, censée être plus sécurisée. Pendant toute cette période, Abdellah continue d’emmener ses fils jouer au football. Lui-même partira en déplacement à Tablat, près de Médéa, pour un match d’anciens joueurs. Il se souvient que la peur a diminué quand la population a «pris les armes», et qu’elle a disparu à l’époque de l’arrivée de Abdelaziz Bouteflika. L’insécurité est revenue, mais ce n’est plus la même. «Le soir, il y a du tapage nocturne et des agressions. Les autorités ne font rien», regrette-t-il. A la fin des années 1990 ? «On connaissait bien deux ou trois truands.» Et maintenant ? «Ils sont nombreux. Les jeunes consomment de la drogue. Tout ça, a commencé avec les années de terrorisme.»
Loisirs
Aujourd’hui, la ville a changé de visage. Moins de terres agricoles. De nombreux magasins, des villas. «Mais on n’a même pas une piscine ! Ni des loisirs pour les jeunes.» Sortir ? «Quand on était jeunes, on allait manger à la Madrague tous les week-ends. Aujourd’hui, on n’a plus les moyens. Fort-de-l’eau (Bordj El Kiffan, près d’Alger, ndlr) aussi, on aimerait pouvoir y aller. Mais vous avez vu le temps qu’il faut pour arriver là-bas ?» Alors la famille Draoui a acheté un cabanon à Ténès près de Chlef. «Le poisson, le bord de mer, c’est super !», s’enthousiasme Abdellah. Elle s’y rend très régulièrement, été comme hiver. «Ce week-end, je vais enfin pouvoir me baigner !», s’exclame-t-il. Pour l’animation à Baraki, il y a bien le Ramadhan. Des soirées dans la salle des fêtes, des chanteurs, des familles dans les rues. Mais Abdallah n’aime pas trop la foule. «Je vais bien aux fêtes de circoncision où je suis invité en tant qu’ancien joueur.» Abdelallah a beaucoup voyagé. Dans les années 1970, il jouait avec le NAHD. A l’époque, chaque année les joueurs s’envolaient vers l’Europe pour trois semaines de préparation. L’Allemagne, l’Espagne. «Ah, Alicante !», se souvient-il en souriant.
Mais à ce moment-là, «l’Algérie, c’était bien. Nous n’avions aucune envie de quitter notre pays.» Aujourd’hui, il regrette un peu. Sa maison, un F3 qui surplombe le garage de son frère, lui a été léguée par ses parents. Abdellah aimerait bien quitter Baraki. Mais les moyens lui manquent. Un jour, pourtant, il faudra y songer, «pour les enfants». Ses deux filles sont de brillantes étudiantes en droit et en ingénierie pharmaceutique. Son fils aîné, 27 ans, n’est pas encore marié. «A 30 ans, ce sera la limite. Mais au moins, d’ici là, il sera autonome et mature», lance son père. Youssef, le plus jeune, a 13 ans. Il est milieu de terrain dans l’équipe de football benjamine de la ville. L’entraîneur, c’est son père ! «Il est pistonné, mais il est très bon», dit Abdellah en éclatant de rire. Youssef soutient le Barça et le Mouloudia. Son équipe de Baraki n’a pas de très bons résultats. Mais peu importe. «On fait jouer n’importe quel enfant, raconte Abdellah. L’objectif, c’est aussi de ne pas les laisser à la portée de n’importe qui.»
Notre projet :
Et si on reprenait tout du début ? Sans préjugé, sans facilité ? Et si on allait là où on ne va jamais, histoire de redécouvrir la réalité ? Chiche ! Pendant une année, nous irons ensemble à Baraki (Alger), El Kouif (Tébessa), Sougueur (Tiaret), Abalessa (Tamanrasset), El Hadjar (Annaba) et El Menia (Ghardaïa). Un seul objectif : rencontrer des habitants pour connaître leurs préoccupations, leurs rêves, leur quotidien et essayer de comprendre quelle sera l’Algérie de 2014.
Pourquoi ces villes ? Parce qu’elles nous paraissent représentatives de la complexe réalité du pays. Mais aussi parce que derrière des stéréotypes bien ancrés et malgré leur petite taille, il y a dans ces villes les hommes qui construisent le pays de demain.
Yasmine Saïd
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16 juillet 2013 à 20 08 17 07177
Une année ma3koum
Un brushing chez Linda
le 10.05.13 | 10h00
Dans la périphérie d’Alger, à Baraki, Linda a ouvert son salon de beauté. Installée près du centre-ville, elle accueille les femmes actives comme celles qui ont besoin d’un petit brushing à la dernière minute. Au-delà de l’esthétique, cette jeune femme gère tout, comme une chef d’entreprise.
En quittant Alger, la voie rapide s’arrête et laisse la place à une dizaine de kilomètres de chemins de terre défoncés. Au bout de la route, après l’usine de fabrication de briques, une bretelle d’autoroute permet de rejoindre l’aéroport. De l’autre côté, c’est Baraki, 130 000 habitants (selon le recensement général de 2008). Face à la station-service, il faut prendre à gauche. Un long boulevard s’enfonce dans le centre de la ville. Boutiques et fast-foods alternent jusqu’à la place centrale où des vieux sont assis le long des grilles du parc. A quelques mètres de là, dans une rue parallèle, de grands autocollants de femmes bien coiffées ornent des vitres teintées. Une jeune femme perchée sur des hauts talons bleus ouvre la porte. Elle a de petits yeux noirs rieurs. Ses sourcils sont élégamment dessinés. Linda, 33 ans, est la propriétaire du salon de beauté Louisa Esthétique. Il y a cinq ans, cette belle brune, native de Baraki, termine sa formation et ouvre son salon, en face du parc. «C’était le premier, aujourd’hui, il y en a dans toute la rue !» Avoir sa propre entreprise, c’était la seule voie envisageable pour Linda : «Si tu travailles bien, tu as des clientes.» Elle a loué un local, avec un bail de cinq ans. Elle a acheté le matériel de travail. «La décoration, c’est un cadeau», explique-t-elle en montrant les quatre grandes photographies encadrées sur le mur. Des modèles asiatiques ou européens coiffés de belles boucles. «Ici, les femmes aiment avoir les cheveux ondulés.» Linda emploie trois jeunes filles, dont sa sœur, Roumeissa, 22 ans. Les tracasseries administratives ? «Les impôts une fois par an, les contrôles qualité sur les produits tous les six mois, et le reste, tous les deux mois. Ce n’est pas si compliqué», affirme-t-elle. Le salon de Linda propose une multitude de services aux femmes : brushing de tous les jours, coiffure des grands soirs, maquillage, manucure ou massage.
Soins du visage
Le tout, sept jours sur sept. «C’est mieux pour la clientèle», dit Linda. Les employées, elles, prennent un jour de repos à tour de rôle. Une série de diplômes encadrés se succèdent sur le mur blanc. De Hydra à Tunis, elle s’est formée du mieux possible. «J’essaye de suivre une nouvelle formation chaque année, pour renouveler ma technique», explique-t-elle. L’année dernière, Linda a travaillé sur les nouvelles coiffures libanaises, une mode «qui plaît beaucoup aux jeunes femmes d’ici». D’ici quelques jours, elle partira à Jedda (Arabie Saoudite), pour un voyage personnel, mais elle espère bien pouvoir découvrir de nouveaux produits dans les boutiques locales. Elle sort de derrière le petit comptoir un catalogue qui présente son travail. Sur la couverture, sa fille de 10 ans, Louisa, prend la pose. «Elle veut être médecin», sourit fièrement Linda. A l’intérieur, des jeunes mariées maquillées et coiffées par la jeune femme. «De telles coiffures peuvent prendre une heure», explique-t-elle devant la photographie. A Baraki, les femmes viennent voir Linda pour les grandes occasions comme les mariages. «On travaille beaucoup plus l’été, mais tout au long de l’année, nous avons des clientes abonnées», détaille-t-elle. Ces habituées sont avocate, médecin ou opticienne. Elles viennent pour les soins du cheveux ou les soins du visage. Pas plus coquettes mais plus aisées que les autres. On frappe à la porte. Une jeune femme d’une trentaine d’années entre et dénoue son foulard. «J’ai besoin d’un brushing. Je passais dans le quartier et j’ai vu votre vitrine», dit-elle en souriant.
Bibliothèque
En quelques minutes, Roumeissa installe la cliente dans un fauteuil blanc, lui lave les cheveux puis l’assied face au miroir. Sur les étagères, des peignes, des brosses et des pinces à cheveux sont bien rangés dans des boîtes. Une pince dans la main gauche, la brosse et le sèche-cheveux dans la main droite, Roumeissa coiffe mécaniquement. La jeune fille de 22 ans a suivi une formation à l’école de coiffure de Baraki puis elle a intégré, il y a 4 ans, le salon de sa sœur. Elle a appris sur le tas. «C’est bien de travailler en famille même si on se retrouve à la maison. Linda est mariée, alors c’est différent», explique-t-elle. Pour Linda, le travail en famille facilite surtout le rapport de confiance : «C’est difficile de trouver de bonnes employées. Dans notre métier, il faut être très rigoureux sur la propreté et l’accueil des clientes.» Linda a mis une annonce sur la porte de son salon. Elle a reçu des dizaines de réponses. «C’est un métier qui intéresse les jeunes. Et surtout, ça paye très bien !», dit-elle en riant. A ce moment-là, un jeune homme colle son nez à la vitre teintée pour essayer de voir à l’intérieur. Linda l’interpelle en riant. C’est un ami. «Nous n’avons pas de problème avec le voisinage ou la clientèle. Les gens sont gentils», affirme-t-elle. La mauvaise réputation de Baraki ? «Il faut dire qu’il y a des gens bien, qui travaillent !» Linda est née dans cette périphérie d’Alger à l’époque où il n’y avait que des champs aux alentours. Aujourd’hui, tout est différent. «D’abord, il y a des routes !», dit-elle en riant. Beaucoup plus d’habitants aussi. Et puis, les infrastructures se développent, comme la nouvelle bibliothèque, à 200 m de là. Les années de terrorisme ? Linda les balaient du revers de la main, tout ça est derrière elle maintenant. D’ici quelques semaines, son bail va expirer. Elle veut le renouveler. «Baraki, c’est mon avenir !»
Yasmine Saïd
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
16 juillet 2013 à 20 08 15 07157
Cinquante ans à regarder couler l’acier
le 05.07.13 | 10h00
En cinquante ans, Abderrahmane a vu l’ancien temple socialiste de l’acier devenir ArcelorMittal. Et le petit village ouvrier d’El Hadjar se transformer avec l’exode rural des années 1990.
Abderrahmane, la soixantaine, cheveux et petite moustache poivre et sel, attend que la matinée se passe. Adossé à un muret près de la mosquée, l’ancien ouvrier du complexe sidérurgique d’El Hadjar, qui a donné son nom à la ville, regarde les policiers s’agiter pour tenter de réguler une circulation anarchique, les passants se bousculer pour entrer dans les magasins et les habitués du café chercher, en vain, une table libre sur une terrasse surpeuplée. Quand Abderrahmane est entré à la société nationale de sidérurgie, en 1969, El Hadjar s’appelait encore Gahmoussia. «C’est-à-dire l’arrière-ville de Annaba, explique-t-il. Avant la Libération, le village portait même le nom de Duzerville (du nom du général Louis Duzer, maréchal de camp lors de l’expédition d’Alger en 1830 puis gouverneur de la province de Bône de 1832 à 1836, ndlr). De cette époque, la ville a gardé quelques maisons, son avenue principale bordée d’arbres et ses commerces en enfilade. Elle était alors essentiellement habitée par les quelque 10 000 personnes qui travaillaient au complexe. Aujourd’hui, on dirait Bangkok !» Enfin, presque. Car El Hadjar ne compte pas plus de 100 000 habitants. Qu’importe, Abderrahmane n’aurait pas assez d’une matinée pour raconter cinquante ans de changements ou sa carrière dans l’acier. «J’ai commencé à la SNS dans la soudure, la chaudronnerie et la tuyauterie», se souvient-il, en cherchant dans sa mémoire les détails de cette année 1969. Cette année-là, les hauts fourneaux n’existaient pas encore. L’Algérie découvrait le socialisme selon Boumediène, Miriam Makeba et Manu Dibango au Panaf’. Lakshmi Mittal, lui, suivait encore ses études à l’université de Calcutta.
Fierté
«C’était une fierté de travailler pour le pays !, assure le retraité. On passait la nuit devant les machines et on se bagarrait avec les ouvriers qui étaient sous notre responsabilité pour qu’ils ne dorment pas !» Et puis les promotions se sont enchaînées. L’Algérie a d’abord récompensé son ouvrier. «J’ai été affecté à l’aciérie à oxygène, puis au laminoir à froid, là où on étire la tôle, puis à la tuberie sans soudure, où l’on fabriquait les tubes pour les pipelines. Je suis passé chef d’équipe puis contremaître, chef d’atelier et j’ai fini ma carrière comme cadre.» Et puis le vent a tourné. Parti à la retraite en 1997 avec 11 000 DA, il a vu sortir ses collègues en 2011 avec le double. «En 1996, il y a même eu un plan de départs volontaires avec 300 000 DA à la clé et la possibilité de partir travailler ailleurs.» Dans sa voix, il y a de la tristesse. De la déception aussi. «Malgré tout ce qu’ils vont faire, je peux vous assurer que l’usine va fermer.» La «renationalisation» d’ArcelorMittal, c’est un peu le sujet incontournable du moment. Même sur la terrasse du café, impossible de faire comme si tout allait bien. Nasser, 54 ans, employé à la sécurité du complexe, a choisi de partir à la retraite anticipée il y a un peu plus d’un an, après 28 ans de bons et loyaux services. Il a son avis sur la question et pour lui, «les problèmes ont commencé avec l’arrivée au pouvoir de Bouteflika». «Les gens sont entrés parce qu’ils connaissaient un procureur, un membre de l’APW, un commissaire. Et puis ils sont devenus intouchables.»
«L’Indien»
Abderrahmane date le début de la crise à l’entrée des capitaux étrangers. Et puis elle s’est aggravée avec l’arrivée de celui qu’ici on appelle «l’Indien». «ArcelorMittal n’a pensé qu’à produire de l’acier sans investir dans l’entretien de l’usine. Aujourd’hui, tout est complètement détruit. Les salles de pompage ne fonctionnent plus. Les tuyauteries sont percées par la rouille. Et puis, il faut le dire, le syndicat sème la discorde. Avant, jamais nous n’aurions arrêté un four, ça prend trop de temps de le remettre en route et pendant ce temps, l’usine ne produit pas. Maintenant, ça ne pose de problème à personne.» Nasser aussi s’énerve : «Pour moi, un syndicat doit être du côté des salariés. Au complexe, il s’est mis du côté de la direction. Un syndicaliste qui gagne des milliards, on appelle ça un patron, non ?» En rajustant sa casquette, Abderrahmane laisse échapper un soupir fataliste. Il ne comprend plus vraiment l’entreprise dans laquelle il a travaillé, ni les gens qu’il côtoie dans cette ville qu’il a connue village. «La plupart sont arrivés de la campagne pendant l’exode des années 1990. Ils ont délaissé les terres agricoles sur lesquelles aujourd’hui d’autres ont construit, mais ils sont venus avec leurs chèvres pour vendre des télés. Ce sont des rurbains, mais ils ne seront jamais des citadins.» Un peu comme les nouveaux employés d’El Hadjar, «sortis ingénieurs de leur école, qu’on balance sur le site alors qu’ils n’en connaissent pas l’historique et qu’ils n’ont aucune pratique parce qu’aujourd’hui, les centres de formation du complexe ne fonctionnent plus.» Le petit-fils d’Abderrahmane arrive sur son vélo pour chercher son grand-père. L’heure du déjeuner approche. Le vent qui s’est levé fait claquer les centaines de petits fanions aux couleurs nationales accrochés entre les lampadaires. «“Ils” sont venus me chercher pour faire de la formation, ajoute-t-il avant de partir. Mais j’ai dit non. Je n’en ai plus la force ni l’envie.»
Notre projet :
Et si on reprenait tout du début ? Sans préjugé, sans facilité ? Et si on allait là où on ne va jamais, histoire de redécouvrir la réalité ? Chiche ! Pendant une année, nous irons ensemble à Baraki (Alger), El Kouif (Tébessa), Sougueur (Tiaret), Abalessa (Tamanrasset), El Hadjar (Annaba) et El Menia (Ghardaïa). Un seul objectif : rencontrer des habitants pour connaître leurs préoccupations, leurs rêves, leur quotidien et essayer de comprendre quelle sera l’Algérie de 2014. Pourquoi ces villes ? Parce qu’elles nous paraissent représentatives de la complexe réalité du pays. Mais aussi parce que derrière des stéréotypes bien ancrés et malgré leur petite taille, il y a dans ces villes les hommes qui construisent le pays de demain.
Mélanie Matarese
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
16 juillet 2013 à 20 08 06 07067
L’esprit de Tin Hinane résiste au machisme
le 24.05.13 | 10h00
Adjointe au maire, vétérinaire, enseignante, activiste culturelle… Les femmes d’Abalessa portent en elles la force de leur ancêtre, reine des Touareg. Attachées à leur profession, elles sont l’avenir du développement de leur ville.
«Je me suis portée candidate lors des élections municipales. Je représentais le parti AHD 54. Nous avons mené notre campagne et avons opté pour une coalition avec le FLN. J’ai finalement obtenu le poste de troisième adjointe au maire d’Abalessa.» Mama Hamdi a 26 ans. Elle est diplômée en journalisme de la faculté des sciences politiques et de l’information d’Alger. Après plusieurs tentatives pour trouver un emploi dans la capitale, Mama se résigne et rentre à Abalessa, sa région natale. La commune d’Abalessa («lieu cultivable» en tamazight) est à 100 km de Tamanrasset. Il faut longer une route déserte aux paysages lunaires pour atteindre ce coin où la végétation fait de la résistance, tout comme pour les femmes de la commune, gardiennes de l’esprit de Tin Hinane, dont le tombeau se situe sur une colline donnant sur la rive gauche de l’oued Tifrit. Mama a fait sa scolarité à Abalessa, comme la majorité des jeunes filles de sa commune.
Sans opposition, sa famille l’envoie à Alger pour entamer un cursus universitaire. «Après avoir obtenu ma licence, je ne rêvais que de travailler dans une rédaction ! J’étais motivée par l’idée de travailler dans les médias nationaux. Une envie de connaître d’autres personnes, d’autres modes de vie et de nouvelles expériences. Mes parents ne se sont jamais opposés à mes choix. La vie à Alger était très difficile, la famille m’a beaucoup soutenue, puisque la bourse ne couvrait jamais mes dépenses quotidiennes. Elle est insignifiante.» Candidature après candidature, la jeune femme ne reçoit que des réponses négatives de journaux arabophones. «Etant donné le nombre de demandes, je n’avais aucune chance de travailler à Alger. Je suis retournée auprès des miens, avec la ferme intention de ne pas laisser tomber mon rêve de devenir journaliste.» L’APC d’Abalessa est une imposante bâtisse flambant neuve au centre de la commune. Mama a un vaste bureau avec un mobilier encore sous emballage. Elle est certaine qu’elle n’aurait jamais pu avoir ce type de poste dans la capitale. «Aujourd’hui, je suis un maillon important de la société, il y a de nouvelles perspectives. Cependant, je ne mets pas de côté mon envie de devenir journaliste.»
Bachelor
«Le mariage n’est pas une priorité chez les femmes actives d’Abalessa», affirme Saïda Belmessaoud. A 28 ans, elle est une personnalité influente dans sa communauté et dans la région, puisqu’elle exerce le métier de vétérinaire. «On a tendance à croire que les femmes du Sud se marient jeunes. Or, nous choisissons, pour la majorité, de faire des études et des formations afin d’assurer la prospérité de notre village et celle de nos familles», ajoute-t-elle. Sa profession n’est pas aisée puisqu’elle doit travailler en permanence, être sur le terrain, prendre soin des animaux, faire le suivi des élevages, appliquer les traitements, conseiller, faire de la prévention et constamment prouver sa compétence malgré sa jeunesse. «A Tamanrasset, il n’y a que 22 vétérinaires ; mon expérience de trois ans est un atout. Je suis souvent sollicitée par les fermiers. Même si c’est un travail physique, avec le temps on prend l’habitude et on apprend également à gérer les mentalités. Il faut savoir que les gens s’habituent à votre première réaction à leur égard.
C’est-à-dire si vous êtes de nature effacée, il y aura moins de sollicitations. Par contre, si vous montrez que vous savez gérer toutes les difficultés, les éleveurs sont plus à l’aise et vous font confiance, les hommes principalement.» Quand on lui demande si elle pense que son métier est compatible avec une vie de famille, elle répond sans hésiter. «Il m’est arrivé de passer un mois loin de chez moi pour m’occuper des animaux. Je ne pense pas que ce soit une contrainte pour mon futur mari. Il saura par avance ce que je fais comme métier, c’est à prendre ou à laisser», conclut-elle. Leyla Abdelbaqi, 34 ans, est née et a étudié à Tamanrasset. Elle a enseigné pendant six ans à Ouargla. Sa tenue traditionnelle dissimule un jean, un t-shirt fuchsia et des ballerines à la dernière mode moyen-orientale. «J’ai fini par épouser un fils d’Abalessa. Je trouve que les hommes d’ici sont plus ouverts, chaleureux et respectueux que les gens de la ville de Tamanrasset, qui n’est qu’à une centaine de kilomètres. Je voyage, pars voir ma famille, sans pression morale de la part de mon mari», affirme Leyla.
Matriarcat
«Les gens du Nord sont obsédés par l’idée que la société touareg, qui est majoritaire ici, fonctionne sur un modèle matriarcal. C’est une vérité historique. Cela dit, nous sommes musulmans et nous respectons également ce que nous dicte notre religion, sans dualité ni contraintes. Les femmes ne portent pas le voile par contrainte. Nous portons le voile coutumier par tradition séculaire et non en signe de soumission à l’homme. Il nous protège du sable, du soleil et des insectes. La peau noire a également ses exigences. Le voile a remplacé la mlahfa, parce qu’il nous permet d’être coquettes !» Hannafi, 29 ans, musicien et poète, partage l’avis de Leyla. Selon lui, une femme est d’abord une citoyenne et une «force active» dans la société dans laquelle elle évolue. «Quand ma mère est tombée malade, j’ai dû prendre la décision de la faire hospitaliser à Alger.
Le traitement qu’elle a eu était très lourd, elle devait donc passer deux mois dans la capitale. J’ai loué un appartement sur place pour prendre soin de ma mère, j’ai fait beaucoup de rencontres. Les gens du Nord sont très chaleureux et aiment les “étrangers“», plaisante-t-il. «Les femmes sont cloîtrées et ne sortent que pour faire les courses ou aller chez le médecin. Quand je racontais à mes amies le rôle que jouent les femmes du Sud dans la société, elles étaient étonnées. La liberté de la femme ne se résume pas à avoir le droit de porter le pantalon ou conduire une voiture, ça va au-delà. La liberté est d’abord un état d’esprit, et vivre dans un duel constant avec l’autorité de l’homme, qu’il soit mari, père ou frère, ne garantit pas l’émancipation.»
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Un seul objectif : rencontrer des habitants pour connaître leurs préoccupations, leurs rêves, leur quotidien et essayer de comprendre quelle sera l’Algérie de 2014. Pourquoi ces villes ? Parce qu’elles nous paraissent représentatives de la complexe réalité du pays. Mais aussi parce que derrière des stéréotypes bien ancrés et malgré leur petite taille, il y a dans ces villes les hommes qui construisent le pays de demain.
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16 juillet 2013 à 20 08 00 07007
Les souvenirs de Bachir l’instituteur
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le 28.06.13 | 10h00
Premier enseignant de français du village, Bachir Aoun a passé toute sa vie à El Kouif.
zoom | © El Watan Weekend
Premier enseignant de français du village, Bachir Aoun a…
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Né avant la guerre d’indépendance, Bachir Aroun a été le premier instituteur francophone algérien d’El Kouif. Aujourd’hui, il vit toujours dans la ville entouré de sa famille et de ses anciens élèves.
Bachir Aoun fut le premier instituteur de français d’El Kouif. Dans la rue, les anciens élèves et les riverains le nomment «Sidi». Bachir haïssait la France coloniale. Il raconte sa peur du mouvement de la Main rouge, des Français qui perpétraient des enlèvements nocturnes. Dès son jeune âge, il rêve de voir un jour son pays indépendant. Mais Bachir était passionné de la langue française : des Fables de La Fontaine aux Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau en passant par Les Misérables de Victor Hugo.
Pendant la Révolution, il décide de devenir instituteur «pour que les jeunes Algériens puissent dire un jour aux Français qu’ils ne seront jamais Français». Il commence à l’âge de 19 ans. «Au début, je devais me déplacer à dos d’âne pour regagner ma première école dans la commune de Morsott», raconte-t-il. Quelques mois plus tard, Bachir Aoun est affecté à l’école primaire d’El Kouif, son village natal. La mission est compliquée, mais le jeune instituteur veut que ses élèves puissent un jour faire valoir leurs droits fondamentaux.
A l’Indépendance, on demande à l’instituteur de favoriser l’accès à l’éducation. «Il m’arrivait parfois de devoir exhorter les enfants à aller à l’école. J’ai intégré dans l’école des enfants orphelins et sans papiers. Certains sont devenus médecins et officiers dans l’armé», sourit-il. D’autres souvenirs sont moins agréables. Un matin, alors qu’il inscrit la leçon du jour à la craie sur le tableau, le directeur de l’école fait évacuer la salle de classe en urgence. Deux hommes en uniforme militaire entrent l’air préoccupé. Ce n’est que deux ans plus tard que Bachir Aoun comprend qu’une bombe avait été placée sous l’estrade pour l’assassiner.
Démobilisé
Quelques jours après les Accords d’Evian, l’instituteur de français, qui a désormais 21 ans, rejoint le maquis sur ordre du FLN. Il est d’abord chargé de transmettre les messages, surtout ceux de Boumediène, avant d’être affecté dans une caserne pour assister au rapatriement des militaires français. «Je croyais que les moudjahidine allaient me garder pour faire une carrière militaire. Mais ils m’ont démobilisé immédiatement. Un combattant blessé m’a dit que ma place était dans la classe et pas dans une caserne. J’ai été très touché», raconte Bachir, les larmes aux yeux.
Quelque temps plus tard, les autorités annoncent que les instituteurs francophones vont devoir se transformer en instituteurs arabisants. «Cette nouvelle est tombée comme un couperet !», raconte Bachir, qui reste encore très critique. «L’arabisation n’était pas un choix. Nous n’étions pas contre, mais cette décision était purement politique. De plus, les moyens pour réussir l’arabisation n’étaient pas réunis», affirme-t-il.
Après être parti à la retraite, il y a une plus d’une quinzaine d’années, Bachir n’a pas arrêté de travailler. Non pas par nécessité, mais pour tuer son temps libre. «Quand on a de la force, il faut travailler.» Il s’occupe désormais de la gérance de la pharmacie de sa fille. Ses enfants sont devenus cadres et viennent régulièrement lui demander conseil. Les journées de Bachir sont plutôt remplies. Il s’occupe aussi de toutes les commissions de la famille et il consacre un peu de temps à ses amis et à ses élèves qui lui rendent souvent visite.
«Il était très sévère avec nous, nous avions peur de lui», raconte Youcef, un ingénieur en génie civil, qui vit aujourd’hui au Canada. Malgré ses 71 ans, Bachir se souvient de tous ses élèves d’autrefois. Cet homme à la carrure chétive et au regard vif rêve aujourd’hui d’une Algérie sereine et il est pour l’instauration d’un processus de démocratisation. «J’aimerais que notre pays puisse se développer économiquement», ajoute-t-il.
Nostalgie
Aujourd’hui, il regarde avec un peu d’appréhension grandir les jeunes de sa ville. Pour lui, certaines «valeurs» disparaissent et il craint que la mondialisation inévitable ne tue les traditions et ne fasse oublier l’histoire du pays. Mais cet attachement à l’Algérie ne l’a pas éloigné de la France. «J’ai visité presque toutes les grandes villes de France : Paris, Marseille, Lyon, Montpellier et autres.» Bachir puise toujours dans les livres et les journaux, à la recherche de belles expressions françaises. El Kouif, il l’évoque tous les jours avec ses amis. Sans trop la critiquer, mais avec la nostalgie de la ville d’autrefois, de la mine, du château, des villages kabyle, constantinois ou encore espagnol. Pour autant, la ville a quelques difficultés : de l’anarchie au manque l’organisation, Bachir continue de s’indigner. « El Kouif ne sortira jamais de son marasme!»
Lakehal samir
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