Au cinquième jour du Ramadan, Tiaret ressemble à une ville fantôme. Une giga-cité, comme morte en plein jour. Boutiques, commerces, et mêmes administrations publiques ferment avant l’heure, laissant le vide «sidéral» et la chaleur écrasante s’emparer des ruelles, «dévidées» de leurs «occupants» plongés dans un sommeil profond. Le silence qui pèse sur la ville, s’il réjouit certains de voir Tiaret enfin débarrassée de ses nombreux visiteurs d’un jour, pour d’autres ce ramadhan, comme celui des années dernières d’ailleurs, est plus qu’insipide. Il est 13h en ce dimanche, et les gens s’empressent déjà pour rentrer chez eux se reposer d’un long jeûne, sous un soleil dardant. Après les ripailles du soir, à Tiaret, il n’y a rien à se mettre sous les yeux. Point d’activités, d’endroits attractifs où aller pour se divertir, ou s’occuper durant les longues soirées estivales. Déficit d’imagination et de volonté ; les autorités en charge du secteur de la culture brillent par leur absence ; pratiquement rien n’est prévu pour «tromper» dix sept heures d’abstinence. Que ce soit en matière d’activités caritatives, culturelles, musicales ou autres, rien à signaler. C’est seulement le soir que la ville s’anime un peu. Après un long sommeil la journée, les gens sortent par pelotons entiers en quête d’air frais et d’un zeste de divertissement. Faute d’endroits appropriés, les ronds-points et autres places publiques se transforment en de véritables ruches. Livrés à eux mêmes, les Tiarétiens se débrouillent comme ils peuvent pour inventer des passe-temps et créer de nouvelles occupations, en attendant l’heure du f’tour, qui s’étire jusqu’à vingt heures passées. «Les rues vides la journée et le mercure qui monte jusqu’à 37 degrés n’encouragent pas les gens à mettre le nez dehors. «Mon climatiseur poussé à fond, je reste scotché devant mon poste TV durant toute la journée. Je ne sors que rarement pour aller faire des courses, en essayant de gagner quelques minutes», soupire Djillali, qui vient de sortir en retraite, après 32 ans passés à enseigner dans un collège.
Hadja Meriem, chef d’un ménage qui compte douze personnes avec enfants et petits enfants, passe son après-midi dans la cuisine, à mijoter des plats dont elle seule connaît le secret. «Cette année les prix n’ont pas connu d’envolée spectaculaire», se réjouit-elle. «Je ne commence à préparer le f’tour que vers 16h», nous confie-t-elle, le sourire vissé aux lèvres enduites de siwak. Ali, son fils aîné, passe sa longue journée allongé sur son fauteuil à regarder tranquillement la TV. D’autres, pour la plupart des personnes âgées, arpentent le marché couvert de la ville, l’allure avachie et le regard presque éteint. A la «place rouge», véritable cœur battant de la ville des Rostémides, seuls les lève-tôt et autres sans «occupations fixes» «tuent» le temps à faire les cent pas, le regard rivé sur la noria de vendeurs ambulants qui investissent les lieux. «Le Ramadan a tellement perdu de son charme, jusqu’à son sens le plus élémentaire, (spirituellement parlant), que tout le monde se contente de faire comme tout le monde, en attendant les ripailles de la soirée, sans plus…» commente la langue pâteuse un sémillant quinquagénaire, qui se souvient de ce Ramadan certes caniculaire des années quatre-vingt mais autrement plus «savoureux tellement l’ambiance et même les gens et les mœurs étaient autres ; je donnerais toute ma solde de retraité mal récompensé pour revivre un ramadhan comme celui des années soixante dix», nous dit-t-il, avec une grosse dose de nostalgie dans la voix. Sur la place du 17 Octobre, une esclandre éclate entre deux jeunes désœuvrés. Un homme joue des bras pour les séparer. Deux policiers en faction interviennent gentiment, et les deux «belligérants» repartent comme une envolée de moineaux
QUOI FAIRE, A PART ROUPILLER ?!
Retour au marché couvert : un légumier brandit un bout de carton en guise d’éventail. Cette année, le chaland se fait rare. C’est seulement le soir que la ville se ranime un peu, enfin, arrachée à son sommeil, et s’ouvre un peu à la vie. Certains quartiers renaissent de la torpeur des longues journées de jeûne. Une toute autre ambiance règne le soir avec les embouteillages au centre-ville, les klaxons des voitures, les cris des enfants, et le shopping, péché mignon de nombreux Tiarétiens. Sur les principales artères de la ville, il y a beaucoup de bruit. Les gens n’ont pas tellement le choix. Marcher sans but dans la ville, se shooter au café et autres breuvages de tous genres jusqu’à une heure tardive de la nuit, s’échanger les visite familiales, faire des courses dans les quelques rares centres commerciaux, ou passer tout simplement une soirée familiale à la maison autour d’une tasse de thé et de délicieux gâteaux traditionnels. Mais si au plus grand bonheur de la ménagère, la tendance, en ces derniers jours du Ramadan est plutôt à l’accalmie sur le front des marchés, ce sont les différents marchés de la ville qui connaissent une fréquentation record avec une frénésie d’achat presque jamais égalée. «Ceux qui pensent que les Algériens sont trop pauvres pour passer un Ramadan sans le pain ou même sans un morceau de viande n’ont qu’à venir voir de ce côté-ci du pays », ironise Mehdi, venu au marché des fruits et légumes le plus fréquenté de la ville pour acheter des abats de volailles qu’il apprécie par-dessus tout. A l’autre bout de la ville, au marché de «Volani», à quatre heures de la rupture du jeûne, une foule bariolée continue encore à jouer des coudes… et des nerfs, sur un sol «gorgé» de déchets nauséabonds. «Boustifaille» mise de côté, comme dirait l’autre, à Tiaret, le Ramadan «cuvée 2013» n’a pas vraiment… bon goût. Et encore cette litote ne convient pas à tout le monde puisque pour de nombreux Tiarétis, le Ramadan de cette année, comme celui de l’année dernière, a carrément «mauvais goût».
En effet, à part, peut-être, les habituelles «esclandres ramadhanesques» moins nombreuses cette année, grâce à un bon quadrillage sécuritaire. Le Ramadan, dans la ville de Ali Maâchi est si insipide que tout le monde a de la peine à «convoquer» son appétit quand «fuse», telle une délivrance, la voix mélodieuse du muezzin, autorisant le peuple des jeûneurs à faire bombance Au rayon des activités culturelles, tout le monde… est aux abonnés absents. Victime du changement de l’ordre des «basses» priorités, la chose de l’esprit n’est plus courtisée par personne, la preuve que plus personne n’a encore appris à mettre de la culture dans sa marmite. Comme écrit sur ces mêmes colonnes l’année dernière, après la «malbouffe» du soir, les Tiarétis n’ont rien à se mettre sous la dent». Un constat cinglant qui en dit long sur le statut peu flatteur de la chose de l’esprit, reléguée au rang de «cinquième roue du carrosse». Pour le reste, quoi d’autre à dire à part ces vols en tous genres et de toutes sortes, le commerce à la mode du pain syrien, qui détrône le fameux pain «volcan», variété locale si prisée que tout le monde s’arrachait, il n’y a pas si longtemps de cela, à 30 dinars pièce. Après le f’tour, si les visages reprennent des couleurs, les veillées ramadhanesques sont chaudes et si longues, trop longues et insipides comme une «chorba b’lech». Au «silence radio» du côté de l’animation culturelle et artistique répond une ville «dévidée», comme fatiguée de vivre. Même le temps, plus clément le soir, et la bonne couverture sécuritaire de la ville ne semblent pas emballer une giga-cité qui a désappris à vivre… Seuls les cafés sont bondés par des couche-tard qui se shootent au café et autre thé jusqu’à risquer une insomnie chronique… Surtout que «l’estocade» de l’Aïd et ses grands soucis financiers pointe à la porte Signe des temps, même les irremplaçables jeux de dominos, rami et autre belote semblent comme passés de mode au point que toute la ville se met à roupiller d’un sommeil de loir bien avant l’heure du s’hour… En ces autres temps et ces autres mœurs, qui pouvait croire un instant que même le Ramadan était capable de nous laisser, nous autres gens, sur une grosse dalle…!
20 juillet 2013
El -HOUARI Dilmi, Quotidien D-Oran (Le ), Tiaret