Mais la reine mourut en lui donnant le jour.
Blanche-Neige, cependant, grandissait et devenait de plus en plus belle. Quand elle eut atteint ses dix-sept ans, elle était déjà plus jolie que le jour et plus belle que la reine elle-même. Un jour que celle-ci demandait au miroir : « Miroir, miroir joli, qui est la plus belle au pays ? » Celui-ci répondit : « Madame la reine, vous êtes la plus belle ici, mais Blanche-Neige est encore mille fois plus belle. » La reine en fut épouvantée. À partir de là, chaque fois qu’elle apercevait Blanche-Neige, son cœur se retournait dans sa poitrine tant elle éprouvait de haine à son égard. Elle en avait perdu le repos, le jour et la nuit.
Le chasseur obéit et conduisit Blanche-Neige dans le bois. Mais quand il eut dégainé son poignard pour en percer le cœur innocent de la jeune fille, celle-ci se mit à pleurer et dit : « Ô, cher chasseur, laisse-moi la vie ! Je m’enfoncerai au plus profond de la forêt et ne rentrerai jamais à la maison. »
Le chasseur eut pitié d’elle et dit : « Sauve-toi, pauvre enfant ! » Mais il songeait : « Les bêtes de la forêt auront tôt fait de te dévorer ! » Un marcassin passait justement. Le chasseur le tua de son poignard, prit ses poumons et son foie et les apporta à la reine comme preuves de la mort de Blanche-Neige. Le cuisinier reçut ordre de lesapprêter et la méchante femme les mangea, s’imaginant qu’ils avaient appartenu à Blanche-Neige.
Le premier dit : « Qui s’est assis sur ma petite chaise ? »
Le deuxième : « Qui a mangé dans ma petite assiette ? »
Le troisième : « Qui a pris de mon pain ? »
Le quatrième : « Qui a mangé de mes légumes ? »
Le cinquième : « Qui s’est servi de ma fourchette ? »
Le sixième : « Qui a coupé avec mon couteau ? »
Le septième : « Qui a bu dans mon gobelet ? »
Le premier, en se retournant, vit que son lit avait été dérangé. « Qui a touché à mon lit ? » dit-il. Les autres s’approchèrent en courant et chacun s’écria : « Dans le mien aussi quelqu’un s’est couché ! »
Mais le septième, quand il regarda son lit, y vit Blanche-Neige endormie. Il appela les autres, qui vinrent bien vite et poussèrent des cris étonnés. Ils prirent leurs sept petites lampes et éclairèrent le visage de Blanche-Neige.
« Seigneur Dieu ! Seigneur Dieu ! s’écrièrent-ils ; que cette enfant est jolie ! » Ils en eurent tant de joie qu’ils ne l’éveillèrent pas et la laissèrent dormir dans le petit lit. Leseptième des nains coucha avec ses compagnons, une heure avec chacun, et la nuit passa ainsi.
— Je m’appelle Blanche-Neige, répondit-elle.
— Comment es-tu venue jusqu’à nous ? »
Elle leur raconta que sa belle-mère avait voulu la faire tuer, mais que le chasseur lui avait laissé la vie sauve et qu’elle avait ensuite couru tout le jour jusqu’à ce qu’elle trouvât cette petite maison. Les nains lui dirent : « Si tu veux t’occuper de notre ménage, faire à manger, faire les lits, laver, coudre et tricoter, si tu tiens tout en ordre et en propreté, tu pourras rester avec nous et tu ne manqueras de rien.
— D’accord, d’accord de tout mon cœur, » dit Blanche-Neige. Et elle resta auprès d’eux. Elle s’occupa de la maison. Le matin, les nains partaient pour la montagne où ils arrachaient le fer et l’or ; le soir, ils s’en revenaient et il fallait que leur repas fût prêt. Toute la journée, la jeune fille restait seule ; les bons petits nains l’avaient mise en garde : « Méfie-toi de ta belle-mère ! Elle saura bientôt que tu es ici ; ne laisse entrer personne ! »
La reine en fut bouleversée ; elle savait que le miroir ne pouvait mentir. Elle comprit que le chasseur l’avait trompée et que Blanche-Neige était toujours en vie. Elle se creusa la tête pour trouver un nouveau moyen de la tuer car aussi longtemps qu’elle ne serait pas la plus belle au pays, elle savait que la jalousie ne lui laisserait aucun repos.
Ayant finalement découvert un stratagème, elle se farda le visage et s’habilla comme une vieille marchande ambulante. Elle était méconnaissable.
— De la belle, de la bonne marchandise, répondit-elle, des corselets de toutes les couleurs. Elle lui en montra un tressé de soie multicolore. « Je peux bien laisser entrer cette honnête femme ! » se dit Blanche-Neige. Elle déverrouilla la porte et acheta le joli corselet.
« Enfant ! dit la vieille. Comme tu t’y prends ! Viens, je vais te l’ajuster comme il faut ! » Blanche-Neige était sans méfiance. Elle se laissa passer le nouveau corselet. Mais la vieille serra rapidement et si fort que la jeune fille perdit le souffle et tomba comme morte. « Et maintenant, tu as fini d’être la plus belle », dit la vieille en s’enfuyant.
La méchante femme, elle, dès son retour au château, s’était placée devant son miroir et avait demandé : « Miroir, miroir joli, qui est la plus belle au pays ? » Une nouvelle fois, le miroir avait répondu : « Madame la reine, vous êtes la plus belle ici. Mais, par-delà les monts d’airain, auprès des gentils petits nains, Blanche-Neige est mille fois plus belle. » Quand la reine entendit ces mots, elle en fut si bouleversée qu’elle sentit son cœur étouffer. Elle comprit que Blanche-Neige avait recouvré la vie.
« Eh bien ! dit-elle, je vais trouver quelque moyen qui te fera disparaître à tout jamais ! » Par un tour de sorcellerie qu’elle connaissait, elle empoisonna un peigne. Elle se déguisa à nouveau et prit l’aspect d’une autre vieille femme.
— Mais tu peux bien regarder, dit la vieille en lui montrant le peigne empoisonné. Je vais te peigner joliment. »
La pauvre Blanche-Neige ne se douta de rien et laissa faire la vieille ; à peine le peigne eut-il touché ses cheveux que le poison agit et que la jeune fille tomba sans connaissance.
« Et voilà ! dit la méchante femme, c’en est fait de toi, prodige de beauté ! » Et elle s’en alla.
Par bonheur, le soir arriva vite et les sept nains rentrèrent à la maison.
Rentrée chez elle, la reine s’était placée devant son miroir et avait demandé : « Miroir, miroir joli, qui est la plus belle au pays ? » Comme la fois précédente, le miroir répondit : « Madame la reine, vous êtes la plus belle ici. Mais, par-delàles monts d’airain, auprès des gentils petits nains, Blanche-Neige est mille fois plus belle. »
Quand la reine entendit cela, elle se mit à trembler de colère. « Il faut que Blanche-Neige meure ! s’écria-t-elle, dussé-je en périr moi-même ! » Elle se rendit dans une chambre sombre et isolée où personne n’allait jamais et y prépara une pomme empoisonnée. Extérieurement, elle semblait belle, blanche et rouge, si bien qu’elle faisait envie à quiconque la voyait ; mais il suffisait d’en manger un tout petit morceau pour mourir. Quand tout fut prêt, la reine se farda le visage et se déguisa en paysanne.
— D’accord ! répondit la paysanne. J’arriverai bien à vendre mes pommes ailleurs ; mais je vais t’en offrir une.
— Non, dit Blanche-Neige, je n’ai pas le droit d’accepter quoi que ce soit.
— Aurais-tu peur d’être empoisonnée ? demanda la vieille. Regarde : je partage la pomme en deux ; tu mangeras la moitié qui est rouge, moi, celle qui est blanche. »
La pomme avait été traitée avec tant d’art que seule la moitié rouge était empoisonnée. Blanche-Neige regarda le fruit avec envie et quand elle vit que la paysanne en mangeait, elle ne put résister plus longtemps. Elle tendit la main et prit la partie empoisonnée de la pomme. À peine y eut-elle mis les dents qu’elle tomba morte sur le sol.
La reine la regarda de ses yeux méchants, ricana et dit : « Blanche comme neige, rose comme sang, noire comme ébène ! Cette fois-ci, les nains ne pourront plus te réveiller ! » Et quand elle fut de retour chez elle, elle demanda au miroir : Miroir, miroir joli, qui est la plus belle au pays ? Celui-ci répondit enfin : « Madame la reine, vous êtes la plus belle au pays. » Et son cœur jaloux trouva le repos, pour autant qu’un cœur jaloux puisse le trouver.
Mais les nains répondirent : « Nous ne vous le donnerons pas pour tout l’or du monde. » Il dit : « Alors donnez-le-moi pour rien ; car je ne pourrai plus vivre sans voirBlanche-Neige ; je veux lui rendre honneur et respect comme à ma bien-aimée. »
Quand ils entendirent ces mots, les bons petits nains furent saisis de compassion et lui donnèrent le cercueil. Le prince le fit emporter sur les épaules de ses serviteurs. Comme ils allaient ainsi, l’un d’eux buta sur une souche. La secousse fit glisser hors de la gorge de Blanche-Neige le morceau de pomme empoisonnée qu’elle avait mangé. Puis après, elle ouvrit les yeux, souleva le couvercle du cercueil et se leva. Elle était de nouveau vivante !
— Auprès de moi, répondit le prince, plein d’allégresse. »
Il lui raconta ce qui s’était passé, ajoutant : « Je t’aime plus que tout au monde ; viens avec moi, tu deviendras ma femme. » Blanche-Neige accepta. Elle l’accompagna et leurs noces furent célébrées avec magnificence et splendeur.
La méchante reine avait également été invitée au mariage. Après avoir revêtu ses plus beaux atours, elle prit place devant le miroir et demanda : « Miroir, miroir joli, qui est la plus belle au pays ? » Le miroir répondit : « Madame la reine, vous êtes la plus belle ici. Mais la jeune souveraine est mille fois plus belle. » La méchante femme proféra un affreux juron et elle eut si peur, si peur qu’elle en perdit la tête.
27 août 2013
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