Contribution : Modernité, comment ? Stagnation, pourquoi ? (1re partie)
Par le Dr Mohamed Larbi Ould Khelifa
1- Le modernisme et l’institution du savoir
L’utilisation du concept de la modernité ou du modernisme, considéré comme un terme épistémologique en Italie, remonte à 1904, dans le but de distinguer le courant du renouveau dans la théologie de l’Eglise catholique. Le pontificat considérait les méthodes de recherche dans la science théologique telle une rébellion contre l’orientation traditionnelle du Vatican et de ses doctrines scolastiques héritées depuis la création de l’Eglise par les premiers saints. Ainsi, parallèlement aux thèses de l’Eglise et leur étendue dans la culture de la société, le modernisme est aussi un argument propre aux anti-scolastiques ou ceux que l’Eglise appelle les «ennemis de l’intérieur». Dans son livre Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, E. Poullat estime que la compréhension de la problématique du modernisme doit être introduite en trois paliers (B. Pola, Casterman—Paris, 2e édition – 2003) :
1- Le niveau chronologique du conflit entre la science et la foi, notamment après le deuxième regroupement des églises au début du siècle dernier.
2- L’analyse des débats doctrinaux et idéologiques à l’intérieur de l’Eglise avec ses différents courants de manière particulière et l’Eglise chrétienne, ainsi que son entourage socio-culturel de manière générale.
3- La compréhension et l’analyse des phénomènes socio-culturels provoqués par l’Eglise ou considérés comme une réaction à son égard, ou encore comme une étendue de son pouvoir. Seulement, la problématique du modernisme s’est rapidement transformée, de polémique à l’intérieur de l’église et ses alentours, en production du modernisme, la faisant coïncider avec la révolution continue dans le domaine des sciences, des arts et de la littérature en Europe de l’Ouest jusqu’à nos jours, ainsi que l’avènement de la révolution industrielle en Italie, ensuite en Grande-Bretagne et qui s’est répandue jusqu’en Europe du Nord et en Amérique.
C’est ainsi que s’est développée la connaissance de l’homme et de la nature et s’est accrue la confiance en le cerveau et la machine. Mc Luhan, dans son livre Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, édité en 1985, a évalué l’évolution extraordinaire des sciences et des arts par l’unité temporelle comme suit : le volume de la connaissance et de la technologie réalisé par l’homme, en l’espace des trois années de la décennie 1960-1970, équivaut à trente années du début du siècle présent, à trois cents ans de l’époque de Newton et à trois mille ans de l’ère des cavernes.
Nous dirions donc que la problématique de la modernité ou du modernisme est passée du domaine de l’Eglise à celui de la révolution scientifique et industrielle. Cependant, même dans ce domaine, la solution n’a pas été trouvée, car les doctrines existentialistes, les mouvements religieux et les mouvements des «Verts», de ceux qui appellent à la protection de la nature, ne sont qu’une nouvelle façon de poser la problématique du modernisme, avec plus de complications, transparaissant dans les dizaines de courants apparus durant la dernière partie du XXe siècle à travers l’abstraction, le personnalisme et le structuralisme chez Strauss et Levy Bruhl ainsi que l’évasion massive vers les zones rurales et l’importance d’associer la démocratie au christianisme au sein de partis portant ce nom ; le parti «Démocratie chrétienne» a gouverné en Italie ainsi que dans la majorité des pays scandinaves et gouverne actuellement en Allemagne sous la présidence de la chancelière Merkel. Il est à remarquer que le pouvoir de ces partis ne fait que croître depuis la Seconde Guerre mondiale, et ce, en réponse aux partis communistes qui s’étendaient en Europe et à l’apparition de l’Union soviétique comme force idéologique sur la scène internationale. Les démocraties chrétiennes était donc dans l’obligation de conclure des «compromis historiques» avec les partis communistes ayant un grand pouvoir, tel que ce qui est arrivé en Italie, au début des années soixante-dix.
Quant au modernisme en Algérie et dans le reste de la région arabe et africaine, son sens est seulement métaphorique, et ce, en raison de la faiblesse du rythme de la production locale en la matière. L’élite culturelle et politique utilise ce concept pour faire référence à deux significations :
1- l’accumulation créative de la pensée arabo-musulmane (le courant de la Négritude dans certains pays africains) est une accumulation très importante dans son contexte civilisationnel et historique, mais qui est devenue aujourd’hui une partie du mouvement continu de l’histoire ; il faut dire qu’elle n’est plus considérée comme créativité, c’est-à-dire qu’elle n’est pas en position dominante dans la pensée humaine et sa constitution réelle est représentée dans sa soumission à une critique sévère (qui n’a absolument rien à voir avec l’ostentation ou l’élégie de Antar Ibn Chaddad) par les contemporains, facile à enrichir de l’intérieur et dont le mouvement est facile à accélérer à la lumière des réalisations scientifiques et technologiques.
C’est cette voie, à la fois juste et éprouvante, menant à l’ancrage de la modernité et du développement, qu’a suivie la Chine populaire ; ce pays qui a conservé les enseignements de Confucius et les théories de TZU rapportés dans son ouvrage L’art de la guerre, il y a déjà vingt siècles, sans oublier qu’elle était à l’avant-garde des civilisations bien avant l’ère grégorienne. Elle a également su imposer l’acupuncture à l’université de Harvard et qui tente en même temps d’assimiler la technologie de l’espace et de maîtriser les conquêtes actuelles et futures du modernisme, à savoir l’informatique, la télématique, la biotechnique, l’électronique et la bureautique. A notre avis, ce développement doit être comparé à un autre développement en matière de justice et de liberté ainsi qu’à ses positions vis-à-vis des droits des peuples opprimés à travers le monde, un développement prudent prenant en compte certains intérêts.
2- L’accumulation créative occidentale est le sens le plus répandu parmi l’élite qui a adopté, au début du siècle dernier, la norme européenne pour fixer le contenu ainsi que les efforts du modernisme. Ainsi, le modernisme est alors transmis en la forme, vu que la participation de l’élite locale est minime et se limite parfois à l’imitation du plus fort dans ses aspects autant positifs que négatifs et les points négatifs sont peut-être plus nombreux, car les aspects positifs se représentent dans la présence des conditions favorisant la création du modernisme et non la consommation de son excédent.
C’est pour toutes ces raisons que deux des importantes expériences historiques ont échoué, à savoir l’expérience de Mohamed Ali en Égypte et celle de Kamal Atatürk en Turquie. C’est aussi en raison de l’ancrage du modernisme au sein de la société et la consommation moderniste limitée à des cercles restreints du peuple qui se distinguent par un comportement superficiel au niveau des relations sociales et par la pauvreté de leur capital culturel et de la sous-traitance en matière d’industrie et de technologie. A ce sujet, de nombreux pays dans la région se vantent, ces dernières années, de dire que la sous-traitance n’est qu’un ensemble de règles mis au service de la stratégie de grandeur et de consommation de la puissance étrangère.
Si nous faisons une analyse rapide sur le parcours des deux pays précités, nous verrons qu’ils sont passés du coup d’Etat et du système militaire au discours sur le projet islamiste dans un style missionnaire qui apparaît sous le contrôle de l’Oncle Sam qui leur trace et dicte leurs limites politiques. Ne nous hâtons pas à porter des jugements sur les évènements actuels en Égypte qui semblent être un retour à la case départ et espérons que la forme ne l’emporte pas sur le fond, c’est-à-dire le retour du «kaki» sans aucun projet de développer ou de moderniser la société après un embargo étouffant imposé durant plus de quatre décennies au mouvement de libération nationale et au mouvement des non-alignés, le grand dérèglement des rapports de force dans la région ainsi que son démembrement depuis l’intérieur en ethnies et doctrines qui s’entredéchirent sans aucun motif afin de se libérer du compradore interne et celui imposé depuis l’extérieur. Attendons l’aboutissement de l’expérience turque avant la fin de la deuxième décennie de ce siècle ; va t-elle demeurer la gardienne du front de l’Est et de l’alliance dans laquelle elle est partie prenante ? Et jusqu’où ira la mobilisation de son élite contre le régime conservateur qualifié d’islamiste ? Les deux pays n’ont pas connu le modernisme bourguibiste de Tunisie qui est proche de l’ataturkisme et qui ne repose pas sur l’armée mais plutôt sur la police et l’organisation du parti ainsi que son prolongement dans l’administration ; mais ne nous hâtons pas à faire des prédictions de l’aboutissement des tiraillements particulièrement après le consensus autour de la Constitution en Tunisie et l’adoption du projet démocratique qui sortira ce pays frère et ami de la crise. Il ne faut pas omettre que le coup de force d’Ataturk visait à annihiler tout ce qui rappelle la dimension islamique de la Khilafa en la remplaçant par une copie conforme de l’Etat nation occidental aux premières décennies du XXe siècle, cette orientation occidentale lui était peut-être inspirée par les services gracieux rendus par les Arabes du Moyen-Orient à l’alliance britanico-française qui n’est en fait qu’une autre forme de colonisation où le colonisateur prend une autre allure qui n’en est pas moins terrible.
Ataturk jugea ainsi que c’était là la voie du salut de la Turquie de l’offensive de l’alliance occidentale et de l’éclatement. Il remporta ce pari, et c’est d’ailleurs cet aspect qui attira l’attention de l’imam Ibn Badis, lui qui aspirait à libérer son pays du joug colonial.
La culture traditionaliste d’Ibn Badis, imprégnée du religieux dans lequel il a baigné, ne l’a pas empêché de s’intéresser de près aux sciences. Il s’est d’ailleurs distingué par une méthode visant à former une élite qui poursuit la diffusion de la pensée de la Nahda en gardant une proximité avec le peuple afin d’inculquer le savoir et par là même réduire les aspects du sous-développement hérité des siècles de retard accumulé par la politique coloniale. Quoi qu’on en dise, il faut replacer les leaders du mouvement national, sans les juger, dans le contexte historique jusqu’ en 1954 et ne pas essayer de faire des comparaisons qui font fi de la situation de l’Algérie avant l’indépendance.
Il est normal que les leaders de la Turquie d’Erdogan remémorent les souvenirs de l’empire ottoman et marquent de leur présence ce qu’ils considèrent comme leur domaine historique vital ; or, le présent a imposé d’autres équations pour l’équilibre des forces et dont la principale n’est autre que la modernisation et son impact sur les sociétés où de nombreuses élites s’inspirent de l’Occident bien qu’elles résident en Orient.
L’Etat qui a porté la bannière du modernisme, durant la deuxième partie du XXe siècle, n’a pas prévu dans ses discours révolutionnaires ou libéraux un sens épistémologique afin d’asseoir le modernisme au sein de la société, de répandre et d’ancrer son impact, c’est pourquoi la norme la plus importante du modernisme reste l’imitation de forme.
Une polémique est née entre l’école passéiste qui ne distingue pas les dus ancêtres des leaders de la pensée et de ceux prêtant allégeance et auquels on voue une sacralisation semblable au culte des ancêtres ni les bâtisseurs des leaders inspirés et des génies érudits créateurs qui ont tant apporté à leurs nations. C’est ceux-là qui doivent voir leurs traditions perpétuées et baptisés des rues et villes en leurs noms.
Quoi qu’il en soit, la glorification du passé, et les honneurs rendus aux femmes et aux hommes est un point commun entre les peuples afin qu’ils illuminent le chemin des générations, sans trop s’attarder sur les légendes, mais sans que cela voile, également, leurs aspirations pour l’avenir. C’est à espérer ce qu’il y a de meilleur dans l’avenir et non le contraire afin de ne pas vivre au détriment du legs matériel et moral de leurs ancêtres qui demeure néanmoins un héritage qu’il faut préserver et exploiter aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Nous citerons à cet égard les vestiges pharaoniques en Égypte qui remontent à des millénaires et demeurent un repère civilisationnel qui attire les touristes de par le monde, la tour Eiffel en France qui séduit les visiteurs de Paris à l’instar du modeste musée de Shakespeare à Stratford qui, également, attire les touristes en Grande-Bretagne.
En Espagne, on glorifie Cervantès et on mène une quête sans fin à la recherche de sa dépouille ; en Algérie, nombreux sont les sanctuaires du savoir et de la création, nous citerons à titre d’exemple la retraite d’Ibn Khaldoun d’où il a anticipé en matière de recherche scientifique et sociale, une retraite peu connue par les visiteurs de Tiaret et bien d’autres érudits et innovateurs des temps modernes aussi bien au nord qu’au sud du pays. Mais faire la promotion du passé civilisationnel de la nation exige de l’élite d’autres créations et innovations modernes, il exige de faire avancer ce passé vers de plus larges perspectives qui font la gloire de la nation.
2- La problématique de la modernité et le choc de la colonisation
La modernité était et demeure en Algérie une revendication d’une frange de la société, notamment après avoir subi le choc du colonisateur avec tout ce qu’il a engendré comme longue résistance culturelle et armée dont l’Emir Abdelkader était un des précurseurs saisissant l’immensité de la distance qui sépare son pays de l’ennemi venu d’outre-mer, ainsi que la puissance industrielle qu’elle a atteint au début du XIXe siècle, une faille qu’on ne peut combler en quelques années par des décisions ; la modernité et la modernisation sont le fait d’une accumulation du savoir et de l’expérience à long terme, guidée par une volonté politique tel que le qualifie l’universitaire maître Grid, c’est-à-dire prendre de l’autre de quoi développer son pays sans que cela soit une banale opération de copier-coller vide de sens et de créativité mais au contraire qui ajoute des valeurs au patrimoine universel en matières scientifique, artistique et littéraire à travers les spécificités de la civilisation authentique et diverse de celui qui s’inspire pour créer et avancer.
Les élites se sont scindées, durant les décennies passées, en plusieurs groupes, ceux acceptant d’assimiler les aspects du modernisme, œuvrant à arriver à ses sources et tentant de s’intégrer dans un mode de vie propre à eux, et d’autres prévenant des opérations de confinement et de polarisation qui ont succédé et accompagné la répression et l’éradication colonialistes, et d’autres encore œuvrant à tirer profit des sciences, d’une part, et, d’autre part, à revivifier le patrimoine algérien arabo-musulman et le riche patrimoine national amazigh et de porter tout haut leur intérêt, notamment sur l’histoire et l’enseignement, et c’est ce que nous retrouvons dans la vision du mouvement national entre les deux guerres mondiales jusqu’aux années cinquante du siècle passé. Des études approfondies ont été consacrées à ce sujet par deux éminents chercheurs, à savoir Abou Kacem Saâd Allah et Mahfoud Kaddache, ainsi que leurs disciples. Après la libération, une nouvelle vague est apparue durant les années soixante-dix du siècle passé, notamment en matière d’écriture, toutes formes confondues, romans, essais, poèmes, etc., et s’est prolongée jusqu’à la fin du siècle et la première décennie de ce siècle où ont émergé des écrivains excellant dans la langue française, formés dans des universités algériennes et d’autres excellant dans la langue arabe formés dans des instituts utilisant les deux langues ou l’une des deux, et à chacun ses objectifs et ses raisons.
Pour ce qui est des sciences sociales, nous avons publié une étude en 1985 qui consistait en la conclusion de notre expérience et nos observations concernant l’école et l’université algériennes, lorsqu’on a été chargé de la direction des études par l’ancien ministre réformateur Mohamed Seddik Benyahia et par la suite du secrétariat d’Etat de l’enseignement secondaire et technique. Nous avons également présenté une autre étude, celle d’Ali El Kenz, sur l’état de l’enseignement et de la recherche scientifique dans les universités au Moyen-Orient, accompagnée d’une analyse et d’un commentaire sur la revue (Maalim – Repères) n°4, en 2011. En tout état de cause, l’accumulation de la créativité et de la recherche a grand besoin d’études critiques afin d’évaluer les efforts de l’élite pour la fondation de la modernité et son impact sur la société et ses institutions.
La guerre de libération a été, sans nul doute, le plus grand changement qu’a connu l’Algérie ; elle a touché toutes les franges de la société et pour accéder au long chemin de la modernité, c’est-à-dire à l’édification du savoir, il fallait absolument se débarrasser du colonialisme. Des efforts ont été consentis, certains étaient réussis, d’autres l’étaient moins, exception faite pour la décennie noire qui était la cause et la conséquence de toutes les interférences qu’a connues l’Algérie durant la période du colonialisme et même après, et c’est ce qui appelle nos élites intellectuelle et politique à opter pour un programme social consensuel répondant aux attentes des générations présentes et futures. Nous nous interrogeons quant à notre capital en matière de savoir, d’expérience et de suffisance relative à nos besoins essentiels.
A ce titre, nous avons consacré aux grandes questions précédentes une étude intitulée : «Leçons du passé et perspectives d’avenir», publié en cinq parties dans les quotidiens El Khabar et Le Soir d’Algérie du 27 au 31 juillet 2013 et une autre intitulée : «La culture en Algérie, du déracinement au réveil» (L’Algérie et le monde, l’écho d’un millénaire 2007).Il est évident que l’impact du fondement cognitif du modernisme apparaît à travers les courants actifs en milieu politique ainsi qu’à travers les débats et le niveau du discours courant destiné au public qui, d’ailleurs, ne se positionne pas pour ou contre, selon la région ou bien des intérêts ponctuels. Cet usage est très répandu dans notre région et à des degrés différents que ce soit par le passé ou de nos jours dans le reste du monde. Le sous-développement et avant tout politique et culturel.
3- Le vagabondage civilisationnel
Il n’était pas possible d’instaurer un fondement épistémologique ou comportemental au modernisme, et ce, en raison de la guerre acharnée menée par des dirigeants non avertis quant à la liberté de la pensée et de la pensée libre au sens de Hegel, c’est-à-dire au raisonnement de la thèse et l’antithèse et leur composition, étant deux hypothèses ou deux opinions qui se rapprochent de la réalité, une réalité qui n’est pas définitive, puisque le raisonnement de Hegel remet ce qui est composé à l’état d’hypothèse discutable. Ainsi, quand l’occasion s’est présentée et que les systèmes arabes, manquant de sérieux, ont cumulé les échecs face à Israël depuis 1967, il y a eu beaucoup de critiques à ce sujet. Beaucoup d’intellectuels considéraient que la dictature est la source du sous-développement. La répression des libertés, l’apprivoisement de la pensée et la domination de la culture de la cour royale sont des facteurs qui ont mené au vagabondage civilisationnel d’une partie de l’élite ainsi qu’aux échecs successifs, à la dépendance croissante au système international et à ses pressions grandissantes. Ce constat d’échec et d’incapacité à apporter des substituts, notamment dans le domaine du développement, s’est transformé en une vague d’élégie ou de flagellation de soi tel que le décrivent les poètes de «nakba». Ainsi, il ne restait aux larges franges des peuples arabes et musulmans et à certaines élites qu’à chercher parmi les écrits et les positions de leurs aïeux un élixir pour sauver ce qui restait à sauver, c’est-à-dire que l’échec des systèmes c’est aussi l’échec de leur modernisme faux et superficiel. Il semble que cet échec soit l’un des facteurs les plus importants qui ont favorisé l’apparition de l’islamisme et son impact depuis les années 1980 après que les générations des années 1970 et 1980 aient fait montre de scepticisme quant aux théories d’intellectuels libéraux ayant dominé toute la scène, à l’instar de Zaki Nadjib Mahmoud, Constantin Zureik et Abdellah Abdedaïm. La génération qui a suivi ne perçoit pas clairement les alternatives que présente une autre pensée qui hésite entre le libéralisme, la domination du marché, le principe de la demande et l’offre et le socialisme marxiste qui a donné lieu au bout du compte à une catégorie de patrons de partis au nom des travailleurs en remplacement d’un patronat de capitalistes et d’éliminer une partie du patrimoine qui est à l’opposé de ce qu’on appelle révolution culturelle menée par la «Bande des quatre» à la fin du règne du leader chinois Mao Tsé-Tong. Il convient de rappeler que le retour aux valeurs refuges, notamment en ce qui concerne le patrimoine religieux, ne concerne pas les sociétés islamiques par le passé ou par les temps actuels ; il accompagne en effet les crises sociales et les conflits qui en découlent lorsque les parties en conflit échouent à trouver des alternatives pour le renouvellement et la rénovation qui n’induisent pas des vides, autrement dit une rupture avec la pérennité historique de la nation.
Nous dirons donc que le retour aux valeurs refuges ne concerne pas que les sociétés islamiques, les sociétés dites catholiques font elles aussi face au même problème, en raison des crises économiques qui donnent lieu à une recrudescence des conflits de la droite extrémiste xénophobe et islamophobe et au chauvinisme, allant jusqu’à demander de ne plus faire partie de l’Union européenne et aux Etats-Unis le courant des partisans de la «Tea Party» prend de l’ampleur dépassant de loin l’idéologie «bushiste» qui prévalait lors de la première décennie de ce siècle. L’église peine à accommoder les principes des premiers patrons avec les vagues du modernisme qui les cernent.
Le chercheur et théologien allemand Hans Krohn a démontré cet embargo dans une étude intitulée «La foi chrétienne expliquée au public» dans laquelle il demande une fatwa, à savoir un avis consultatif, pour mettre un terme au célibat imposé des prêtres, dans un monde où l’acte de mariage religieux ou civil n’a plus de valeur. L’actuel pape originaire d’Amérique latine œuvre à créer des ouvertures calculées notamment envers les jeunes afin de diminuer les effets de la crise socioéconomique et trouver des réponses prudentes face aux défis qui guettent les sociétés et les pays appartenant à la chrétienté,ainsi qu’à la position vis-à-vis du reste du monde et à atténuer l’impact de la privation, de la frustration et de la domination du capitalisme sauvage.
L’Amérique latine d’où est originaire le pape est, comme nul ne l’ignore, l’endroit d’où est partie la théologie de la libération depuis les années soixante-dix du siècle dernier.
M. L. O. K.
(A suivre)
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2014/07/26/article.php?sid=166358&cid=41
27 juillet 2014
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